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France Télécom: « un immense accident du travail organisé par l’employeur »

La salle d’audience était comble jeudi pour entendre les dernières plaidoiries des avocats des parties civiles: pour Me Jean-Paul Teissonnière, le procès de France Télécom et de ses anciens dirigeants, qui se tient dix ans après plusieurs suicides de salariés, est celui d' »un immense accident du travail organisé par l’employeur ».

« Pourquoi mourir à cause du travail? Pourquoi souffrir à cause du travail? »: la troisième journée de plaidoiries a démarré par une série de questions, posées par l’avocat des syndicats Unsa et CFDT, Jonathan Cadot. Et encore: « Quelle est la place de l’économique et de l’humain dans l’entreprise? Comment concilier les deux? ».

Ce dossier France Télécom « passionne par rapport à notre relation au travail, qui est un élément structurant de notre vie », a souligné Me Cadot. Il y a tout juste dix ans, France Télécom (devenue Orange en 2013) faisait la Une des médias car plusieurs salariés avaient mis fin à leurs jours. Il s’agissait de « suicides vindicatifs », pour l’avocat: plusieurs agents avaient laissé des lettres accablantes contre leur employeur et d’autres s’étaient donné la mort sur leur lieu de travail.

Les plaidoiries de Sylvie Topaloff et Jean-Paul Teissonnière étaient particulièrement attendues. Ils sont dans le dossier depuis le tout premier jour: en septembre 2009, ils avaient accompagné Patrick Ackermann, délégué de SUD, pour porter plainte contre son entreprise.

C’est peu dire donc qu’ils connaissent bien les 39 parties civiles retenues par les magistrats instructeurs. Dix-neuf d’entre elles se sont suicidées. « Le moment est venu d’un dernier hommage à ceux qui ont préféré la mort à la vie, en tous cas, la vie telle qu’elle était pour eux », a déclaré Me Topaloff.

Elle démarre par Michel Deparis, qui avait écrit dans une lettre en juillet 2009: « Je me suicide à cause de France Télécom. C’est la seule cause ». « Petit à petit, celui qui était si fort a perdu de sa superbe. Il avait d’énormes responsabilités et ne savait plus faire », raconte l’avocate. Elle accuse « les réorganisations sans concertation », « l’isolement ».

– « Interdit majeur » –

Alain Trotel a tenté de sauter du 7ème étage de son lieu de travail, après une nouvelle altercation avec son manager. « Il était drôle, affable. Il est sous antidépresseur, a pris 30 kg, est toujours complètement perdu ». Didier Lefrançois a tenté de se suicider en se tranchant la gorge: « après 33 ans d’ancienneté, on lui a demandé sans explication de trouver un nouveau poste ».

Me Teissonnière enchaîne en posant « une question simple, presque enfantine »: « Ce qu’il s’est passé à France Télécom entre 2007 et 2010, était-ce interdit? ».

L’entreprise et ses ex-dirigeants sont jugés depuis le 6 mai pour « harcèlement moral », défini dans le code pénal comme « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail ». Pour Me Teissonnière, il y a eu « un immense accident du travail organisé par l’employeur, ce qui correspond à la définition du harcèlement moral systémique ».

« Tout a commencé par un mensonge », pour Me Topaloff. Fin 2005, Didier Lombard, alors PDG a annoncé le départ de 22.000 personnes en trois ans et la mise en mobilité de 10.000 autres agents, sur un total de 120.000 salariés. « Il se refusait à la tragédie d’un plan social », voulait faire une réduction d’effectifs « sans bruit » et affirme encore que ces départs devaient se faire « naturellement ».

Au contraire, « la peur s’est emparée de tout un chacun dans l’entreprise ». Les prévenus sont accusés d’avoir mis la pression sur les salariés pour les pousser au départ. L’avocate pointe « une politique d’entreprise profondément délétère ». « Le mépris que les salariés ont dû affronter s’est malheureusement retourné en mépris de soi ».

Les prévenus encourent un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende. « L’écart » entre cette peine et la souffrance des victimes « est tel qu’il ne faut pas espérer trouver du sens dans le montant des peines qui seront prononcées », prévient Me Teissonnière. Mais pour l’avocat, « ce qu’il s’est passé à France Télécom doit être rangé parmi les interdits majeurs d’une société ».

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