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Ethiopie et Erythrée: les espoirs déçus d’une paix au point mort

L’euphorie était palpable dans les mois qui ont suivi la signature, en juillet 2018, d’un accord de paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée. La frontière avait été rouverte après 20 ans de fermeture et le café « Peace and Love » de Teklit Amare, côté éthiopien, débordait de clients.

Un an plus tard, Teklit Amare déambule tristement entre les tables vides de son établissement, dans la ville frontalière de Zalambessa. Si les dirigeants des deux pays continuent de se parler, le processus de paix peine à se matérialiser.

Pire, la frontière entre les deux frères ennemis de la Corne de l’Afrique est à nouveau fermée: le poste de Zalambessa a été fermé sans explication fin 2018, suivi par les autres points de passage entre les deux pays.

« Le moment le plus triste, c’était quand ils ont fermé la frontière aussi rapidement après l’avoir rouverte », se lamente Teklit Amare, qui peine désormais à joindre les deux bouts.

Un sentiment largement partagé à Zalambessa, dont certains bâtiments endommagés portent encore les stigmates de la guerre entre l’Éthiopie et son ancienne province (1998-2000) – notamment en raison d’un conflit territorial – qui avait fait quelque 80.000 morts.

Lors des années de guerre froide qui ont suivi ces affrontements, Zalambessa a été quasiment abandonnée.

« Lorsque la frontière a été rouverte, tout le monde était content, les gens voulaient faire du commerce », raconte Hadush Desta, le plus haut fonctionnaire municipal de Zalambessa.

Le rapprochement surprise entre le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le président érythréen Issaias Afeworki avait été suivi de la réouverture des ambassades, la reprise des vols commerciaux entre les deux capitales et la multiplication des rencontres et invitations.

– Réfugiés –

Mais l’enthousiasme a vite fait place à la frustration et certains espoirs ont pour l’heure été rangés au placard, qu’il s’agisse de la signature d’accords commerciaux ou de l’accès de l’Éthiopie, pays enclavé, aux ports érythréens.

D’autant qu’une communication opaque rend les raisons de l’impasse difficiles à identifier. M. Abiy a passé deux jours à Asmara la semaine passée, promettant de « renforcer » le processus de paix, mais aucun autre détail n’a filtré.

« Comme on dit, le diable est dans les détails. On ne sait pas trop ce qui se passe », relève Abebe Aynete, du groupe de réflexion Ethiopian Foreign Relations and Strategic Studies.

Beaucoup d’observateurs soupçonnent M. Issaias de traîner les pieds car une trop grande ouverture à l’Éthiopie, et par extension au reste du monde, pourrait le forcer à relâcher la poigne de fer avec laquelle il dirige depuis 1993 ce pays parmi les plus fermés au monde.

« Personnellement, je pense que tant que c’est le groupe actuel qui dirige à Asmara, la frontière ne va pas s’ouvrir et les deux pays n’auront pas de relations normales », estime Mehari Tesfamichael, président en exil du groupe d’opposition Mouvement pour un futur érythréen radieux.

Car le régime érythréen, accusé de nombreuses violations des droits de l’homme, utilise depuis longtemps les tensions avec l’Éthiopie pour justifier un service militaire illimité dans le temps ou l’interdiction de voyager à l’étranger.

En octobre 2018, lorsque la frontière était encore ouverte, l’ONU a compté 10.000 réfugiés érythréens enregistrés en Ethiopie, soit un chiffre sept fois plus important que lorsque la frontière était fermée.

La crise politico-ethnique que traverse l’Éthiopie, marquée par des violences intercommunautaires et l’assassinat fin juin de cinq hauts responsables, dont le chef d’état-major de l’armée, pourrait également faire partie de l’équation.

– « Désaccords » –

Le programme réformiste de M. Abiy a chamboulé les hautes sphères du pouvoir, accélérant notamment la perte d’influence de la minorité des Tigréens, ethnie du nord qui a longtemps été la plus puissante de l’Éthiopie.

Or, la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie se trouve en grande partie au Tigré.

« La résolution des questions liées à la frontière nécessite la pleine coopération du Tigré et du Front de libération du peuple du Tigré », qui représente la région au sein de la coalition au pouvoir au niveau fédéral, estime William Davison, de l’International Crisis Group. « Ce n’est pas ce que nous voyons en ce moment ».

« Il y a des désaccords significatifs entre le TPLF et ses partenaires de coalition, ainsi que des disputes entre la région du Tigré et le gouvernement fédéral », ajoute-t-il.

« Il faut toutefois reconnaître que la situation est bien meilleure qu’avant le rapprochement, lorsque la possibilité d’un conflit entre États était importante », nuance Michael Woldemariam, spécialiste de la Corne de l’Afrique à l’université de Boston.

Même à Zalambessa, le tableau n’est pas tout noir. Le poste-frontière est officiellement fermé depuis décembre, mais les soldats des deux côtés font preuve de souplesse. Les marchands éthiopiens assurent qu’ils sont parfois autorisés à entrer en Erythrée, ou s’y rendent en traversant la frontière de manière non officielle.

Au café « Peace and Love », Teklit Amare n’a pas encore abandonné tout espoir. « Il y a des rumeurs selon lesquelles le gouvernement érythréen répare la route. Cela nous donne l’espoir qu’un jour, ils pourraient rouvrir » la frontière.

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