La Cour suprême des Pays-Bas a confirmé vendredi un jugement obligeant l’État néerlandais à renforcer ses mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici 2021, alors que le pays est à la fois l’un des plus grands pollueurs d’Europe et très vulnérable au changement climatique. La procédure, considérée comme « historique », a redonné de l’espoir aux ONG de protection environnementale dans le monde, dont certaines sont à l’origine d’autres actions juridiques.
« Immense victoire pour la justice climatique », a célébré l’ONG Greenpeace. Vendredi 20 décembre à La Haye, la Cour suprême des Pays-Bas a condamné l’État néerlandais pour inaction climatique, lui ordonnant une « obligation définitive » de redoubler d’efforts et « d’atteindre un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici la fin de 2020 par rapport aux niveaux de 1990 », ont déclaré les juges.
La plus haute juridiction du pays a confirmé deux décisions antérieures, contestées par le gouvernement, « en vertu de la Convention européenne des droits de l’Homme » (CEDH), a-t-elle stipulé. Selon les juges, l’État néerlandais n’avait pas fait suffisamment pour protéger ses citoyens des effets dangereux du changement climatique. Car celui-ci pourrait « menacer leurs vies et leur bien-être ».
Champions en pollution et vulnérables
Siège du géant pétrolier Shell, les Pays-Bas sont aussi le foyer du plus important port maritime d’Europe… et sont parmi les plus gros pollueurs du continent. Petit, mais densément peuplé, le pays occupe la troisième place en émissions de CO2 par habitant parmi les membres de l’Union européenne, selon la Banque Mondiale, et seulement 7 % de son énergie est issue de sources renouvelables.
Le pays est également très vulnérable aux conséquences du réchauffement climatique, près d’un tiers de son territoire se trouvant en dessous du niveau de la mer.
« Nous sommes très très contents, bien évidemment, car la justice a reconnu que le changement climatique est une réalité et une question de droits de l’Homme », a déclaré à France 24 Marjan Minnesma, directrice de l’ONG environnementale Urgenda, à l’origine, avec 900 Néerlandais, de cette action juridique en 2015. « Cette décision nous donne de l’espoir pour d’autres parties du monde, où cette atteinte aux droits de l’Homme est parfois plus grave qu’ici », a-t-elle ajouté.
« C’est une décision historique », a résumé Nigel Brook, expert environnemental pour le cabinet Clyde & Co. « Non seulement à cause de sa base légale, mais à cause du principe selon lequel le gouvernement doit protéger les citoyens d’un pays contre les dangers liés au changement climatique », a-t-il expliqué dans un entretien à Reuters.
Aucune sanction stipulée en cas de non-respect
Lors de sa conférence de presse hebdomadaire, le Premier ministre Mark Rutte a reconnu que l’obligation stipulée par la justice était « compliquée », car son gouvernement « doit boucler ce qu’il reste à faire en très peu de temps ». Cependant, il a affirmé qu’il ferait « tout le possible pour atteindre cet objectif ».
La Cour suprême n’a toutefois pas énoncé de sanction en cas de non-respect de cette décision. « Nous ne l’avons pas demandé, car on considère qu’il n’y a pas de raison que le gouvernement ne respecte pas la décision de la plus haute cour de justice des Pays-Bas », a justifié à France 24 Dennis Van Berkel, l’avocat de l’association Urgenda.
L’État français régulièrement rappelé à l’ordre
Et si le gouvernement ne respecte pas cette décision ? « Comment ça ? Il créerait un état de danger imminent, avec des conséquences très graves sur la vie des citoyens. Et cela voudrait dire qu’on n’est plus dans un État de droit », a ajouté Dennis Van Berkel, étonné qu’un gouvernement puisse ignorer des décisions de justice.
La présidente de l’ONG française Notre affaire à tous, Marie Toussaint, elle, n’est pas étonnée d’une telle question. « En France, rien que sur la pollution de l’air, les associations environnementales et la justice doivent rappeler l’État à l’ordre à chaque fois », explique-t-elle à France 24.
Vers des décisions semblables dans toute l’Europe ?
Il s’agit toutefois d’une « décision extrêmement importante », résume Marie Toussaint, elle-même à l’origine d’une plainte similaire en France, avec trois autres associations, dont Greenpeace, nommée l’Affaire du siècle. « Maintenant, toutes les Cours constitutionnelles des pays signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme devraient être contraintes d’adopter des décisions semblables ».
En France, « nous espérons que le tribunal administratif reconnaisse que le réchauffement climatique entraîne la violation des droits humains », dit-elle en attendant le jugement, prévu pour 2020. « Si jamais l’État ne respecte pas cette éventuelle décision, nous reviendrons devant les juges pour des mesures de réparation », a-t-elle expliqué.
Dans un communiqué, la Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Michelle Bachelet, a également salué une « décision historique » destinée à « protéger des droits de l’Homme ».
« Nous continuerons à forcer les États à prendre leurs responsabilités »
Alors que Dennis Van Berkel « espère que cette décision forcera d’autres pays à prendre les mêmes mesures », d’autres procédures similaires n’ont pas rencontré le même succès. En 2018, trois familles allemandes avaient poursuivi le gouvernement d’Angela Merkel, jugeant que leurs cultures étaient victimes de sécheresses et intempéries à cause du réchauffement climatique et de l’inaction du gouvernement allemand. Leur demande a été jugée « irrécevable », les objectifs environnementaux allemands n’étant pas « contraignants ». Ils ont décidé en décembre ne pas faire appel.
Marjan Minnesma reste toutefois optimiste : « Si les États continuent à ne pas prendre leurs responsabilités, comme ils l’ont fait à Madrid lors de la COP25, nous continuerons à les forcer à travers la justice. »
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