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Le système des retraites à l’épreuve des économies budgétaires

Alors que le mouvement de grève contre la réforme des retraites entame son 20e jour, le gouvernement peine à convaincre certains experts du bien-fondé de son projet controversé. Ces derniers soulignent que le système est surtout menacé par la baisse des ressources budgétaires.

Créer un « système plus juste », c’est le but de la réforme des retraites, affiché par le Premier ministre, Édouard Philippe, lors de son discours de présentation, le 11 décembre. Une vision soutenue par les ministres, pour qui le nouveau système serait non seulement plus équitable mais aussi transparent, en particulier pour les femmes et les plus précaires.

D’après eux, cette réforme est essentielle pour combler un déficit qui ne peut que se creuser davantage. Les dépenses du système de retraites figurent, en effet, parmi les plus élevées du monde. Atteignant plus de 14% du PIB en 2016, elles se sont toutefois stabilisées, voire ont diminué, pour représenter 13,7% du PIB en 2018, d’après le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), un organisme indépendant chargé d’étudier le système des retraites.

Les prévisions du COR sont également optimistes pour les années qui viennent. À l’horizon 2030, ces dépenses ne dépasseraient probablement pas les 14% du PIB, peut-on lire dans le rapport. Le COR prévoit aussi un déficit évalué à 0,2% du PIB en 2023, soit 5 milliards d’euros : moins d’un tiers du montant déboursé pour apaiser la colère des Gilets jaunes.

Moins de subventions versées par l’État

Pour Hervé Le Bras, démographe et historien, la principale inquiétude autour de cette réforme relève davantage de la réduction des dépenses que de la supposée instabilité du système. En effet, dans le système actuel, 80% des dépenses pour les retraites sont payées par les cotisations des Français et le reste est pris en charge par l’État, grâce à plusieurs dispositifs. Or, le gouvernement souhaite réduire les ressources.

Le rapport du COR souligne ainsi que « le déficit n’est pas lié à l’évolution des dépenses de retraite dont la part dans le PIB reste constante » mais plutôt à « la diminution des ressources du système de retraite ». Or, celle-ci serait due « pour l’essentiel », à « une diminution, en pourcentage du PIB, de la contribution de diverses entités publiques locales (État, administrations publiques locales, CNAF, Unédic) ».

Autrement dit, « le déficit prévu s’explique par le retrait de l’État et non par des raisons économiques ou démographiques », écrit Hervé Le Bras, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, le 19 décembre. Selon lui, « l’âge pivot a donc pour but de compenser le retrait de l’État ».

Hervé Le Bras se penche aussi sur la croissance de l’espérance de vie pour « plaider contre l’urgence » d’une réforme des retraites. Selon lui, les prévisions démographiques du COR sont « optimistes » car l’organisme table, après 65 ans sur « 1 mois de progression annuelle [de l’espérance de vie, NDLR] des femmes entre 2018 et 2030 et sur 1,7 mois pour les hommes ». À cause de ce ralentissement, la facture risque donc d’être moins salée pour supporter le coût des retraites.

Le démographe n’est pas le seul à suspecter le gouvernement de vouloir à tout prix réduire le coût des pensions.Selon une étude de l’institut de sondages Odoxa, publiée le 19 décembre, 66% des Français continuent de soutenir la grève et 57% d’entre eux tiennent le gouvernement pour responsable du blocage. 

Une réforme pas assez claire 

Si les Français ne sont pas tous convaincus, c’est également le cas de certains spécialistes, y compris ceux qui défendaient autrefois la réforme. Dans une autre tribune publiée au début du mois dans Le Monde, un groupe d’économistes reconnus, proches d’Emmanuel Macron, ont appelé à plus de « clarté » concernant la réforme des retraites. Ils pointent « des considérations budgétaires » qui rendraient les objectifs de la réforme moins lisibles.

Ces économistes, qui approuvent le système des retraites par points, conseillent vivement au gouvernement d’abandonner la création d’un « âge pivot ». Ils écrivent qu’il n’existe « pas de raison de conduire à la dégradation de la situation des fonctionnaires », en particulier pour les enseignants.

Le sort des enseignants suscite également des craintes chez l’économiste Daniel Cohen, ancien soutien de de la voie réformiste choisie par Emmanuel Macron. Dans l’émission « C l’hebdo », diffusée sur France 5, il s’oppose, dimanche 30 novembre, à la position du gouvernement pour qui « cette réforme, parce qu’elle était universelle, était juste ». Prévoyant un « très grand nombre de perdants », il fait notamment référence aux enseignants, qui, selon lui, seront « les principaux perdants de cette réforme ».

Déplorant « un immense gâchis », Daniel Cohen a également expliqué, mercredi 18 décembre, au micro de France Culture, que le gouvernement avait réalisé l’opposé total de ce que la réforme prévoyait à l’origine. « La seule vraie motivation de cette réforme était de créer quelque chose qui ne soit pas une source d’anxiété auprès d’une écrasante majorité de Français », affirme Daniel Cohen, qui estime « que les ressources ne sont pas manquantes ».

« Au lieu de s’engager dans une voie, qui consiste, brique par brique, à corriger le système pour le rendre plus rassurant, le gouvernement a réussi ce tour de force de la rendre plus anxiogène », poursuit-il. « C’est un peu un comble de vider les retraites de ressources et de dire ensuite qu’il y a un déficit. »

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