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la France isolée en Europe, entre « football d’Etat » et désunion

Le football français est-il « vraiment trop con » ? A l’heure où ses voisins reprennent leur saison, le championnat de France, arrêté précocement, s’interroge sur les raisons de cette exception européenne, entre gouvernance en crise, dépendance politique et déficit de « culture foot ».

« On est en train de se pendre », « on est vraiment trop cons ». Avec ces deux saillies adressées au quotidien L’Equipe ces dernières semaines, le président de Lyon Jean-Michel Aulas, esseulé dans son combat contre l’arrêt de la saison, a fait les gros titres.

Épingle-t-il les dirigeants du foot français, responsables de cette décision prise lors du Conseil d’administration de la Ligue de football professionnel (LFP) du 30 avril ? Ou s’insurge-t-il face à la prise de parole précoce du Premier ministre Edouard Philippe ayant annoncé deux jours plus tôt que la saison de football « ne pourra pas reprendre » ?

Le processus décisionnel interroge. Du côté de la Ligue et de plusieurs présidents de clubs, on a en effet brandi pendant un mois cette déclaration gouvernementale pour affirmer que l’Etat avait rendu « impossible » la reprise des championnats.

Mais jeudi, Edouard Philippe a renvoyé le ballon dans l’autre camp: « Il ne m’appartient pas de me prononcer sur des décisions des ligues et fédérations », a-t-il lancé, précisant qu’à son avis le moment de reprendre n’était « pas venu ».

Mais il a aussi laissé ouverte une possible reprise de matches après le 21 juin, alors qu’un mois plus tôt le gouvernement excluait toute rencontre avant août, même à huis clos…

« On n’a pas reçu d’ordre de Matignon d’arrêter. C’est faux de laisser croire que c’est une décision unilatérale du Premier ministre », a assumé cette semaine Patrick Wolff, président de l’Association nationale des Ligues de sport professionnel (ANLSP) qui répondait à des sénateurs favorables à la reprise.

– « Football d’Etat » ? –

Certains pointent plutôt la cacophonie ambiante, entre coups de fils de présidents de clubs aux cabinets ministériels et manque de clarté sur certaines dates (comme celle du 3 août, simplement recommandée par l’UEFA pour finir la saison et non imposée), rendant illisible les véritables souhaits des dirigeants du football.

« La gouvernance du foot professionnel français est très émiettée », analyse pour l’AFP Régis Juanico, député (Génération.s) de la Loire. « Tout le monde s’exprime, et ça complique les choses. Ce qui manque au foot français, qui ne parle pas d’une seule voix, c’est de la continuité et de la cohérence. Ce qui importait surtout aux clubs, c’était des mesures qui leur permettent de se sauver économiquement. »

Beaucoup de dirigeants ont en effet rapidement insisté sur l’importance de « sécuriser » la juteuse saison prochaine, celle du nouveau contrat de droits télévisés (1,217 milliard d’euros annuel), supérieur de 60% au précédent.

Mais certains, a posteriori, ont une réflexion plus profonde sur le rôle de l’Etat dans le fonctionnement du football professionnel.

« Dans les autres pays, il y a eu des réunions interministérielles avec des représentants importants des clubs pro, et ils redémarrent. En France, il n’y a pas eu ces réunions-là. De loin, on peut donc penser que l’Etat ne s’est pas trop intéressé au football… Mais au contraire, il s’y est tellement intéressé qu’il a décidé de l’arrêter ! Il y a un paradoxe », pointe un dirigeant de club de Ligue 1. « Beaucoup de gens se demandent si à la fin, on n’est pas dans un football d’Etat ».

– Particularité culturelle –

En Angleterre et en Allemagne, notamment, des voix politiques ont porté pour asséner qu’un week-end de football serait bon pour le moral de la nation. En France, la ministre des Sports Roxana Maracineanu a glissé que le sport « ne sera pas prioritaire », s’attirant certaines foudres du monde sportif.

Déficit de lobbying ou particularité culturelle d’une France moins passionnée de football que ses voisins ?

« Beaucoup d’amateurs de foot en France sont convaincus que la classe dominante de leur pays n’aime pas le foot, mais c’est un peu de l’auto-victimisation, de la jalousie par rapport aux sociétés anglaise, allemande, espagnole ou italienne. Ce n’est pas suffisant » pour expliquer l’exception française, tempère Albrecht Sonntag, professeur à l’école de management d’Angers (ESSCA) et auteur des Identités du football européen.

« Bien plus que le degré d’amour du pays pour le foot », c’est la « soif d’égalité » de la société française qui l’explique, poursuit le sociologue. « En France (l’Etat) a plus particulièrement ce rôle de garant de l’égalité. C’est pourquoi il ne peut y avoir de traitement spécial pour le football. Quand l’Etat français dit +Le football ne reprend pas+, ça ne se discute plus. »

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