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divergences diplomatiques au sommet, débat houleux au Parlement

Les positionnements diplomatiques du président du Parlement tunisien Rached Ghannouchi, chef du mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, ont été au centre d’un débat parlementaire électrique mercredi, signe d’une reprise des tensions, exacerbées par le conflit en Libye voisine.

Les députés ont échangé des invectives lors d’une session plénière au Parlement à Tunis, devant lequel des centaines de manifestants anti-islamistes ont réclamé le départ de M. Ghannouchi, l’accusant de mener une diplomatie « parallèle » pro-turque.

« Ghannouchi à la tête du Parlement représente un danger pour la sécurité nationale », pouvait-on lire sur des affiches brandies par les manifestants rassemblés à l’appel du Parti destourien libre, une petite formation anti-islamiste.

Dès janvier, alors que le chef de l’Etat Kais Saied, élu trois mois plus tôt, ne s’était pas encore rendu à l’étranger, Rached Ghannouchi, alors à la tête du Parlement depuis deux mois, avait rencontré le président turc Recep Tayyip Erdogan.

La diplomatie étant constitutionnellement le domaine du président de la République en Tunisie, M. Ghannouchi avait été alors pointé du doigt mais il avait fait valoir qu’il avait effectué cette visite en tant que chef d’Ennahdha, parti proche d’Ankara.

La polémique a repris de plus belle fin mai, après que M. Ghannouchi a félicité par téléphone le chef du gouvernement d’union nationale (GNA) en Libye, Fayez al-Sarraj, à la suite de la prise par ses forces d’une base aérienne aux forces rivales du maréchal Khalifa Haftar.

Ce comportement contraste avec la neutralité observée de longue date par la Tunisie sur le conflit en Libye, où le pouvoir est disputé par le GNA reconnu par l’ONU et soutenu par la Turquie, et le maréchal Haftar appuyé notamment par les Emirats arabes unis et la Russie.

– « Reprise des hostilités » –

Pour Hamza Meddeb, expert pour le centre Carnegie, « Rached Ghannouchi n’a jamais caché faire partie de l’axe Turquie-Qatar mais il est désormais président du Parlement et les institutions tunisiennes se retrouvent entraînées dans cet axe ».

La Tunisie est une « caisse de résonance » des affrontements de plus en plus directs entre les différents axes en Libye voisine, souligne-t-il.

Au Parlement, des députés ont dénoncé mercredi ingérences et alignements.

« L’alignement de la Tunisie derrière une partie au détriment d’une autre est une erreur que nous ne permettrons pas », a lancé Foued Thameur du parti Qalb Tounes.

« En Tunisie, il y a ceux (politiciens) qui suivent le Qatar, d’autres les Emirats arabes unis, d’autres la Turquie et d’autres la France, » a dénoncé Sihem Askri, également de Qalb Tounes.

A ces tensions s’ajoutent la discorde au sommet entre MM. Ghannouchi et Saied, les rivalités au sein de la coalition gouvernementale entre Ennahdha et ses alliés de circonstance et les profondes divisions au Parlement.

La coalition gouvernementale hétéroclite arrivée non sans mal au pouvoir en février « a réussi à tenir grâce à la crise sanitaire qui a gelé les rivalités face à un ennemi commun: le virus », dit M. Meddeb, en allusion à la pandémie de Covid-19. « Avec le déconfinement, c’est la reprise des hostilités. »

Les pouvoirs spéciaux confiés au gouvernement pour gérer la crise sanitaire expirent le 11 juin, et les décisions devront ensuite passer par les jeux de pouvoir parlementaires complexes: Ennahdha, principale force du Parlement, n’en contrôle qu’un quart des sièges.

– « Un seul président » –

M. Saied, lui, est passé à l’offensive face au deuxième personnage de l’Etat, soulignant dans un discours acerbe fin mai que la Tunisie n’avait « qu’un seul président, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur », critique adressée implicitement à M. Ghannouchi.

Alors qu’Ennahdha doit se choisir un nouveau chef en 2020 lors de son congrès quadriennal, « Ghannouchi joue sa dernière ligne droite: il place ses pions pour garder ce qu’il a comme pouvoir et comme leviers », estime le politologue Selim Kharrat. « Il a toujours eu des contacts très haut placés, une aura internationale indéniable et il joue sur ça. »

Face à lui, Kais Saied, un universitaire sans expérience du pouvoir jusqu’à son élection surprise en octobre 2019, « ne s’est pas encore tout à fait affirmé » sur le plan diplomatique, souligne M. Kharrat.

Ces tiraillements interviennent alors que la Tunisie, qui peinait déjà à répondre aux attentes sociales de la population, est frappée de plein fouet par l’arrêt du tourisme et le choc économique dû à la pandémie.

Pour M. Meddeb, « le risque est qu’une crise politique ou des blocages n’exacerbent les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ».

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