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Entre discrédit politique et dépression économique, les ingrédients de la crise malienne

Le pouvoir malien essuie une contestation qui alarme la communauté internationale, inquiète que la crise ne dégénère dans une région troublée. Comment le Mali en est-il arrivé à faire craindre à ses voisins un « chaos institutionnel aux conséquences imprévisibles et désastreuses » ?

– Le contexte –

Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK, président aujourd’hui contesté, a accédé au pouvoir en 2013 avec une image de sauveur. Mais huit ans après le début des insurrections indépendantistes et jihadistes dans le nord en 2012, non seulement les attaques des groupes liés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique continuent mais elles ont gagné le centre du Mali et les pays voisins. Conjuguées aux hostilités entre communautés et aux trafics en tous genres, les violences ont fait des milliers de morts, malgré l’intervention de forces françaises, onusiennes et africaines.

De vastes pans du territoire échappent au pouvoir central. Services publics et réseau routier sont défaillants. L’un des pays les plus pauvres au monde s’est enfoncé dans une crise multiforme, économique, sociale, politique.

IBK demeure cependant un acteur primordial de l’action antijihadiste.

– La protestation… –

Elle n’a pas commencé quand des dizaines de milliers de Maliens sont descendus dans la rue le 5 juin, à l’appel d’une coalition hétéroclite pour réclamer la démission du président, et qu’ils ont réédité deux semaines après. En 2019, de vastes rassemblements avaient déjà eu raison du Premier ministre de l’époque. « La nouveauté, c’est que les gens sont à bout de souffle », estime l’analyste Baba Dakono.

« Vous avez dans la rue les enseignants mécontents, tous ceux qui ont perdu beaucoup dans la crise sécuritaire, les frustrés de la mauvaise gouvernance et des scandales à répétition », renchérit l’analyste Ibrahim Maïga.

– Effet Covid et législatives –

Les craintes et les restrictions imposées par la pandémie ont attisé l’exaspération. Quelques jours avant les législatives de mars, le chef de l’opposition est enlevé. Malgré ce rapt inédit, malgré l’insécurité et l’épidémie, le gouvernement maintient le vote. La Cour constitutionnelle inverse une trentaine de résultats proclamés, dont une dizaine du parti présidentiel, renforçant sa majorité. Parmi les repêchés: Moussa Timbiné, un fidèle du président. Quelques jours après, il est élu président du Parlement.

Ces législatives aggravent le discrédit des politiques, suspects de corruption systémique et de partage du gâteau. L’expert Dakono parle de « crise de légitimité » qui frappe tout le monde: un Parlement qui ne représenterait plus les Maliens, la Cour constitutionnelle, et même le président.

– Un président exposé –

« Les autres fois, on décriait les maux du gouvernement, cette fois les manifestants (vont) jusqu’à exiger la démission du président », souligne M. Dakono.

IBK incarne un pouvoir qui « n’y arrive pas », selon les mots du sociologue Bréma Ely Dicko. Les législatives ont aussi convaincu ses adversaires qu’il « plaçait ses hommes » en vue de la présidentielle de 2023 et que celle-ci se jouait maintenant.

En sept ans, il a consommé six Premiers ministres. Contrairement à son prédécesseur, l’actuel, Boubou Cissé, n’est « pas un politique, c’est un technocrate (…), il ne peut plus constituer le fusible » qu’a été son devancier, dit M. Maïga.

– Protestations convergentes –

L’opposition souffrait « d’un déficit de personnalités capables de mobiliser. Aujourd’hui, elle (l’a) en la personne de (Mahmoud) Dicko », affirme M. Maïga. Le mouvement dont cette personnalité religieuse très écoutée est le chef de file, se signale par son hétérogénéité. L’imam connu pour ses vues sociales conservatrices a canalisé ces mécontentements avec un discours qui parle aux Maliens, sur leurs préoccupations, les valeurs morales et la défense d’une patrie « humiliée », quand d’autres leaders, y compris religieux, sont jugés inféodés au pouvoir.

Ses intentions ultimes suscitent l’interrogation. Bréma Ely Dicko, le sociologue, rappelle que l’imam fait partie de ces personnalités aujourd’hui dans la protestation qui ont porté IBK au pouvoir en 2013. L’imam s’estimerait mal payé. Il aurait mal digéré qu’on lui ait retiré son rôle de bons offices auprès des jihadistes. Son mentor, le Chérif de Nioro, autre religieux éminent, se jugerait lui aussi maltraité. « Les deux ont été frustrés, et le régime qu’ils ont aidé est devenu le régime à combattre », dit Bréma Ely Dicko.

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