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Les « mémoriaux éphémères » du 13-Novembre, un autre récit des attentats

Photos, messages, dessins, fleurs et bougies… Au lendemain du 13-Novembre, des « mémoriaux éphémères » se forment à proximité des lieux des attentats. Pour la première fois en France, ces témoignages ont été collectés et exploités pour raconter l’histoire « par en bas », explique le sociologue Gérôme Truc.

Qu’est-ce qui pousse certains proches des victimes, riverains ou touristes à déposer des objets après un attentat? Que disent leurs messages? La société est-elle réellement « unie » dans le deuil? Que faire de ces autels improvisés ?

Dans un ouvrage collectif intitulé « Les mémoriaux du 13-Novembre », paru fin octobre, sociologues, historiens, archivistes mais aussi éboueurs racontent en textes et en images la folle aventure de la collecte et de la conservation de ces matériaux. Et ce qu’ils disent sur la société française du début du XXIème siècle et la manière dont elle endure la violence.

« Ces mémoriaux apparaissent à chaque fois qu’une mort nous choque, c’est ce qu’on appelle les +mauvais morts+: accidents de la route, attentats de masse ou non, morts célèbres. C’est devenu une manière classique de vivre les deuils collectifs », analyse Gérôme Truc, qui a co-dirigé ce livre avec la sociologue Sarah Gensburger.

– Un phénomène né dans les années 90 –

Le phénomène est « observé depuis les années 1990 », par exemple lors de l’attentat d’Oklahoma City aux Etats-Unis, ou après la mort de Lady Di, relève le chercheur du CNRS.

« Selon toute vraisemblance, il a dû y avoir des choses après les attentats de Saint-Michel et Port-Royal, en 1995 et 1996 à Paris, mais cela n’a suscité l’attention de personne et rien n’a été conservé », constate Gérôme Truc, qui a travaillé sur les réactions aux attaques du 11-Septembre (2001), de Madrid (2004) et de Londres (2005).

Après les attentats de janvier 2015, la bibliothèque d’Harvard lance un appel pour recueillir vestiges et photos du mouvement « Je suis Charlie », et notamment des mémoriaux apparus place de la République et rue Nicolas Appert, devant les locaux de Charlie Hebdo. Mais rien de la part de la ville de Paris.

Alors, au lendemain du 13-Novembre, Gérôme Truc écrit à la mairie pour dire l’importance de ne pas passer une nouvelle fois à côté du recueil de ce matériau.

« Quelques jours plus tard, je rencontrais le nouveau directeur des Archives de Paris, Guillaume Nahon, et un protocole était mis en place avec les services d’entretien », relate-t-il.

Dans le livre, Guillaume Nahon raconte comment archivistes et éboueurs sont intervenus « progressivement », nettoyant et collectant peu à peu, « de manière à ne pas choquer ». Ils « ont un peu servi d’infirmiers aux mémoriaux et à leurs publics », « pansements sur des territoires blessés », écrit-il.

– Bientôt un musée mémorial ? –

Au total, quelque 7.700 documents et 5.000 clichés ont été archivés, un travail « hors normes et sans précédent ».

« On a en France une tradition d’archives avant tout administratives. Le 13-Novembre marque un tournant avec l’apparition d’archives citoyennes, dit Gérôme Truc. C’est très important car dans quelques années ou quelques siècles, quand les historiens voudront raconter ces évènements, ils n’auront pas que le point de vue d’+en haut+ ».

Que disent donc ces témoignages venus d' »en bas »? « Vu de loin, on peut avoir l’impression de formules creuses et consensuelles. En fait, en les étudiant de près, on voit que ces mémoriaux sont des espaces politiques et civiques, qui visent à rendre hommage mais aussi à interpeller ».

Du message écrit à la va-vite sur un ticket de métro ou un billet de banque aux « lettres ouvertes aux terroristes » en passant par les diatribes haineuses (rares à avoir été collectées car souvent « censurées » par les passants), « ils montrent la pluralité des rapports sociaux aux attentats ».

Souvent imprégnés d’une « morale chrétienne sécularisée », ces témoignages, parmi lesquels de très nombreux dessins d’enfants, revendiquent en premier chef « liberté, amour et paix ».

Ils disent aussi le besoin de ne pas oublier les victimes et de garder en mémoire leurs noms.

Un processus de mémoire qui pourrait être parachevé par le « musée mémorial des sociétés face au terrorisme » promis par Emmanuel Macron.

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