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en pleine pandémie, les fumeurs tentés par l’autoculture

Difficultés d’approvisionnement, flambée des prix, longues journées à occuper, la pandémie de Covid et les confinements ont incité certains fumeurs de cannabis à se lancer dans la culture à domicile, une tendance qui a accéléré l’émergence d’une herbe « made in France » déjà encouragée par les trafiquants.

En banlieue parisienne, Alexandre* s’apprête à voir sa patience récompensée. Dans quelques jours, il pourra faire sa toute première récolte. Des deux pieds de cannabis secrètement plantés chez lui dans une armoire, le trentenaire espère « environ 100 g de weed » pour lui et sa compagne.

Pouvoir fumer une herbe « de qualité » et supprimer tout risque de « devoir dépendre d’un four » (point de deal dans une cité, ndlr), il y songeait depuis « presque deux ans ».

Alors quand au printemps, l’Etat l’a forcé à rester chez lui, il est « passé à l’action ». En avril, il commande sur internet ses premières lampes à LED, nécessaires à la croissance des plantes. Et quelques clics plus tard, terre, engrais et graines lui sont livrés par un site espagnol.

Au total, Alexandre a dépensé « 350 euros » pour s’équiper. Un investissement dont il se félicite en ces temps de reconfinement et d’instauration de l’amende forfaitaire de 200 euros pour les usagers de drogue.

« J’évitais déjà de fréquenter les +fours+. Mais là avec l’amende, c’est hors de question », souffle cet amateur de joints purs sans tabac. « 2020, c’est vraiment l’année qui t’incite à devenir indépendant: on ne sait pas comment va évoluer la crise, si on va être confiné tous les trois mois… »

Une logique qui semble faire des émules. Cultivatrice de cannabis depuis plusieurs années pour soulager les douleurs liées à sa trithérapie, Brigitte* a vu l’intérêt pour son expertise grimper pendant l’épidémie de Covid-19.

– « Confinement déclencheur » –

« En mars-avril, une dizaine de personnes m’ont contacté sur les réseaux sociaux », raconte cette quinquagénaire malade du VIH. « Certains voulaient savoir où poser leur +homebox+ (armoire de culture, ndlr), d’autres comment ne pas avoir d’odeur dans leur logement. »

« Le confinement a provoqué une prise de conscience », théorise-t-elle depuis sa campagne angevine. « Les gens se sont rendus compte qu’ils pouvaient produire eux-mêmes au lieu d’aller chez un dealer. D’autant qu’aujourd’hui, on trouve tout le matériel et les infos sur le web, et le +do it yourself+, c’est tendance. »

« On a beaucoup de remontées d’informations suggérant que les consommateurs réguliers se sont mis à l’autoculture », abonde Victor Martin, de l’association Bus 31/32 qui gère des centres pour usagers de drogue à Marseille et coordonne une étude pour mesurer l’influence des deux confinements sur l’usage de cannabis.

« Le premier confinement a servi de déclencheur, beaucoup ont franchi le pas parce qu’ils ont eu du mal à s’approvisionner ou ont vu les prix grimper. »

L’autoculture n’a pas attendu le coronavirus pour s’imposer. Elle répond aux besoins croissants des Français, premiers consommateurs européens de cannabis avec 5 millions d’usagers dans l’année et 900.000 fumeurs quotidiens.

Ils délaissent de plus en plus le « shit » (la résine), au profit d’une herbe qui a acquis l’image d’un produit « aux propriétés +naturelles+ (…), voire +bio+ », selon une récente note de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.

– « Production urbaine » –

En 2017, 7% des consommateurs réguliers de cannabis de 18 à 64 ans confiaient déjà utiliser leur propre production, selon le baromètre de Santé Publique France. Soit « entre 150 à 200.000 personnes », précise l’OFDT.

Pour répondre à la demande, le nombre de « growshops », ces magasins spécialisés dans la vente de matériel destiné à cultiver des plantes en intérieur, a quintuplé en dix ans, selon l’OFDT, pour atteindre 300 enseignes en 2016.

L’expansion de ces boutiques commence d’ailleurs à attirer l’attention des autorités. Fin juin, quelque 950 pieds de cannabis ont été saisis chez plus d’une centaine de particuliers dans la Marne et l’Aube: les enquêteurs les avaient repérés en surveillant trois « growshops » où ils se fournissaient.

« Il peut y avoir un dérapage assez rapide de ces cultivateurs, car le consommateur se rend vite compte qu’il peut monétiser sa production », note le chef adjoint de l’Office anti-stupéfiants (OFAST), Samuel Vuelta-Simon.

Produire local dépasse désormais le cercle des usagers revendeurs, selon le magistrat, « des groupes criminels se sont emparés de cette dynamique. »

« Aujourd’hui, on a vraiment une production urbaine de cannabis en France », détaille-t-il. Preuve que l’herbe « made in France » a le vent en poupe, le nombre de plants de cannabis saisis a bondi de 30% entre 2018 et 2019.

Loin des trafics, Alexandre assure ne vouloir satisfaire que « conso personnelle ». Mais l’apprenti jardinier a pris ses précautions et adopté une technique qui lui permet de maximiser le rendement de seulement deux pieds. « Comme ça si je me fais serrer, j’imagine que je risque un peu moins. »

*Les prénoms des usagers ont été modifiés

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