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Transports : Quand l’Autorité de régulation va à l’encontre d’un rapport sénatorial

La gestion du secteur autoroutier continue de faire des vagues. Dans ce dossier, les pouvoirs publics ne sont pas tous sur la même longueur d’onde : en septembre, une commission d’enquête sénatoriale a critiqué le modèle des concessions accordées au secteur privé. Un point de vue auquel n’adhère pas l’Autorité de régulation des transports qui s’est largement démarquée des conclusions sénatoriales.

En 2006, l’֤État a concédé à plusieurs entreprises privées la gestion des autoroutes françaises qu’il ne pouvait plus gérer lui-même, faute de moyens financiers et de compétences. Depuis, l’histoire revient régulièrement dans les médias, façonnée par les divergences gauche-droite dans le paysage politique, entre les partisans d’une renationalisation radicale et ceux d’une vision plus libérale de ce secteur aux contours très spécifiques.

Le rapport du Sénat critique les contrats passés avec les SCA

Pour parfaitement réglementer ce marché, l’État a mis en place en 2009 une première structure administrative indépendante (Arafer), élargie en 2019 sous la forme de l’Autorité de régulation des transports (ART). Entre autres prérogatives, cet acteur incontournable et impartial supervise donc la gestion du secteur routier et vient de publier, en novembre, un rapport très détaillé sur la situation actuelle et les enjeux à venir des autoroutes tricolores. Un rapport qui contredit en de nombreux points celui de la commission sénatoriale qui a fait couler beaucoup d’encre ces deux derniers mois.

Rendues publiques en septembre, les conclusions du Sénat étaient en effet sans appel, à charge contre la gestion des SCA (sociétés concessionnaires d’autoroutes, Eiffage, Vinci et Abertis principalement). Médias et syndicats s’en sont fait l’écho, de Libération (« Le Sénat en remet une couche sur la privatisation contestée des autoroutes ») à la CGT (« L’aberration de la privatisation des autoroutes enfin reconnue ») en passant par The Conversation (« L’injustifiable rentabilité des concessions autoroutières »).

Présidée par le sénateur de l’Essonne Vincent Delahaye (Parti radical), cette commission ne pensait peut-être pas avoir autant de succès. Son rapport de 333 pages (hors auditions) a jeté un pavé dans la mare, préconisant la fin pure et simple du modèle des concessions autoroutières. Pour appréhender cette conclusion sans appel, il est nécessaire de creuser le dossier, car certains arguments avancés sont sujets à caution. C’est ce qu’a mis en exergue l’ART dans son rapport publié deux mois plus tard, en novembre.

Une vision différente portée par l’ART

Appuyées sur des auditions et des avis d’experts, les accusations du Sénat sont sans appel. Pêle-mêle : hausses illégales du tarif des péages, rentabilité outrancière et comptabilités cachées, pertes financières pour l’État, contrats mal négociés en 2006… Autant d’affirmations revues et corrigées par l’Autorité de régulation des transports qui précise en préambule « les caractéristiques du modèle concessif, soulignant à la fois le transfert des risques au concessionnaire et le retour des infrastructures au concédant (l’État) en fin de contrat ». Car dans le modèle des concessions, faut-il le rappeler, les opérateurs privés sont seuls à prendre des risques et à s’endetter pour investir dans les infrastructures tandis que l’État reste propriétaire du réseau tout en percevant des recettes significatives (40% du prix des péages).

Dans son texte, le rapporteur a cru bon de citer en annexe la contribution d’un universitaire, Jean-Baptiste Vila, affirmant que « l’augmentation continue des tarifs depuis 2006 ne trouve aucun fondement légal, que le surplus devrait être rétrocédé par ces sociétés et que l’État a l’obligation de mettre en œuvre cette procédure de recouvrement de l’indu perçu, soit plusieurs milliards (dizaine ?) d’euros. » Pourtant les tarifs des péages sont strictement encadrés par la loi. L’accusation portée par l’universitaire a trouvé un contradicteur en la personne de Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes : « Nous sommes atterrés par ces insinuations relatives à un trésor caché imaginaire. Cela relève de la pure fantasmagorie. ll n’existe pas, comme vous le laissez entendre de façon diffamatoire, de “comptes réels” cachés qui seraient “différents de ceux présentés dans les comptes d’exploitation” ou encore de “sommes figurant sur des comptes dédiés à ces opérations”. Nos comptes sont publics et font l’objet d’une analyse détaillée annuelle par l’Autorité de régulation des transports » peut-on lire dans une lettre adressée à Jean-Baptiste Vila.

L’analyse de l’ART justement remet en cause celle du rapport sénatorial, soulignant à la fois les intérêts de l’État et ceux des SCA. Dans son rapport, elle démonte de nombreuses accusations au sujet de la rentabilité des concessions (« Les taux de rentabilité interne des concessions ont enregistré une évolution favorable, mais modérée depuis 2017 » ; « Les sociétés “historiques” privées, malgré l’échéance proche de leurs contrats entre 2031 et 2036, doivent encore faire face à des engagements de remboursement importants »), ou encore au sujet de la défense des intérêts de l’État (« Les contrats comportent des dispositions qui protègent l’usager et le concédant durant toutes les phases : construction, exploitation et fin de la concession », « Les dispositions relatives à la restitution de l’infrastructure concédée sont protectrices des intérêts de l’État »). La liste est longue, les exemples nombreux. L’Autorité de régulation des transports va même plus loin en mettant en exergue les aspects positifs du modèle de concession, et en avançant des pistes pour l’améliorer.

Que disent les tierces parties ?

Au-delà de la polémique idéologique relancée dans les médias par la commission sénatoriale, certaines réalités – moins connues de l’opinion publique – sont aussi à mettre en avant. Dans une étude parue en septembre 2020, Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, regrette « les contradictions françaises » et « des idées reçues qui polluent le débat » : « Les Français entretiennent une méfiance de principe envers les grands groupes en charge des concessions, nourrie de mythes et de contre-vérités. Les faux scandales abondent. Non, les autoroutes n’ont jamais été financées par les impôts : depuis les années 1950, le principe qui prévaut est celui des utilisateurs-payeurs. Non, les autoroutes ne sont pas payées depuis bien longtemps : les sociétés qui les gèrent continuent à porter une dette considérable. Non, les concessionnaires ne sont pas des prédateurs qui auraient profité de la privatisation pour se jeter sur les “bijoux de famille” et s’engraisser au détriment des Français. » La lecture de l’étude en question est très instructive.

D’autres analyses tentent aussi – loin des querelles politiciennes – de décrire et de chiffrer la dimension positive du modèle français. En 2017 déjà, le cabinet international d’audit Monitor Deloitte proposait une contribution au débat avec son rapport intitulé Le modèle vertueux des concessions d’autoroutes : « Le modèle de concession privée permet à la France de disposer d’un réseau autoroutier de qualité, créateur de valeur pour la collectivité. […] La privatisation des sociétés d’autoroutes a permis une meilleure maîtrise des coûts de construction et d’exploitation, maîtrise des coûts traduite par une économie de 4 milliards d’euros. Le partenariat État-sociétés concessionnaires est amené à se renforcer sous de nouvelles formes. »

Ces « nouvelles formes », l’Autorité de régulation des transports doit et peut les mettre en avant. L’État français a donc tout intérêt à prendre en compte tous les points de vue pour appuyer sa politique de concession sur des arguments qui ne souffrent d’aucune ombre. Le débat public n’en sortirait que grandi.

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