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A Cuba, une cohabitation parfois houleuse entre révolution et culture

Deux mois après leur mobilisation historique, des artistes cubains continuent de réclamer plus de liberté d’expression, le gouvernement dénonçant de son côté une conspiration politique: c’est le dernier épisode d’une cohabitation mouvementée entre culture et révolution socialiste.

Ni le rebond de cas de coronavirus sur l’île ni le chamboulement provoqué par l’unification le 1e janvier des deux monnaies du pays n’ont eu raison de leurs revendications, qui s’expriment principalement sur les réseaux sociaux, dans ce pays où l’internet mobile bouleverse le quotidien depuis son arrivée fin 2018.

Les quotidiens d’Etat et le journal télévisé fustigent presque chaque jour ce mouvement, assurant qu’il est piloté depuis l’ennemi de toujours: les Etats-Unis.

L’origine du conflit? La mobilisation de 300 artistes, rassemblés une quinzaine d’heures le 27 novembre face au ministère de la Culture pour réclamer plus de liberté d’expression. Du jamais-vu à Cuba.

Ce rassemblement inédit était survenu au lendemain de l’expulsion violente de 14 jeunes Cubains, retranchés dans un local du centre de La Havane pour réclamer la libération d’un chanteur de rap emprisonné.

Mais l’annonce le 27 novembre par les autorités d’un dialogue avec les artistes a fait long feu. Le poète et écrivain Alexis Diaz Pimienta évoque avec ironie un « monologue sourd bidirectionnel ».

Les autorités, déjà hérissées par le renforcement de l’embargo américain sous l’administration de Donald Trump, affirment qu’il s’agit d’une tentative de coup d’Etat déguisé.

C’est « l’ultime tentative que les +Trumpistes+ et la mafia anticubaine (de Miami) pouvaient mener », dans leur « stratégie de guerre non conventionnelle pour tenter de renverser la révolution », s’est emporté le président Miguel Diaz-Canel.

– « Le chemin sera long » –

Pour Maria Isabel Alfonso, experte en culture cubaine au St Joseph’s College de New York, la réaction du gouvernement n’est pas nouvelle.

Et les mêmes instruments du passé sont utilisés, comme « l’acte de répudiation », qui consiste à rassembler une foule autour d’un contestataire pour l’insulter et lui crier dessus, ou « le fait d’appeler mercenaire toute personne qui pense différemment », explique-t-elle.

« Les assignations à résidence, comme alternatives aux arrestations, deviennent aussi courantes » contre des artistes ou journalistes indépendants, note aussi l’universitaire.

Le rassemblement du 27 novembre « était une manifestation politique, mais exprimée de façon poétique, sans violence, avec des chansons, des poèmes », raconte à l’AFP Fernando Pérez, considéré comme le plus grand cinéaste cubain vivant et qui a joué ce jour-là les médiateurs entre les deux parties.

« Ces jeunes ont préfiguré le Cuba dont beaucoup de Cubains ont rêvé et rêvent encore », assure le réalisateur de 76 ans. Mais « je ne me fais pas d’illusions: les mentalités ne changent pas d’un jour à l’autre, le chemin sera long ».

Derrière cet énième conflit, une longue histoire d’accrochages depuis que Fidel Castro a défini en 1961 la politique culturelle par cette formule: « Dans la révolution, tout; contre la révolution rien ».

C’est entre 1971 et 1976 – le fameux « quinquennat gris » – que les éclats ont été les plus forts.

Sous l’influence soviétique, une vaste purge a alors été opérée dans l’art et la culture, excluant tous ceux ne remplissant pas les « paramètres » fixés par les autorités: être révolutionnaire et hétérosexuel.

– « Paradoxe » –

Les artistes punis pour « problèmes idéologiques » étaient généralement envoyés à travailler dans les champs ou la construction.

Des auteurs emblématiques comme José Lezama Lima et Virgilio Piñera ont vu leurs oeuvres retirées des librairies et déprogrammées des théâtres. Au moins 23 poètes n’ont pu publier lors de ce quinquennat, selon l’essayiste Arturo Arango.

Maria Isabel Alfonso souligne « un paradoxe »: « De la même manière qu’il y a eu un soutien (des autorités) à l’art et la culture, des groupes de pouvoir institutionnel, culturel et pas seulement politique les ont dynamités, en dictant ce que doit être l’art dans le cadre de la révolution ».

La différence du conflit actuel? La mobilisation, spontanée et relayée via internet, a pris par surprise les autorités, forcées à s’asseoir le 27 novembre à la table du dialogue.

« Les jeunes ont trouvé dans les réseaux sociaux un moyen de s’exprimer librement et face à cette dynamique fluide, vivace et dans l’air du temps, les médias de communication, statiques, sont, pour ne pas le dire de manière défaitiste, en clair désavantage », estime Fernando Pérez.

« Ce qui est aussi nouveau, c’est la demande forte » d’artistes et intellectuels pour « une légitimité de la création indépendante, la fin de la soumission policière et le respect de leurs droits », note Maria Isabel Alfonso: les autorités « doivent arrêter de pénaliser celui qui pense différemment et ouvrir un espace de dialogue ».

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