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Au Kirghizstan, les féministes face à la violence des « patriotes »

Les militantes féministes kirghizes, qui s’apprêtent à célébrer la journée internationale des droits des femmes, sont toujours marquées par les violences qu’elles ont endurées lors de la marche organisée l’an passé à Bichkek, la capitale de ce pays d’Asie centrale.

Le 8 mars 2020, des hommes masqués avaient attaqué les quelques dizaines de militantes dès le début de leur action, sur une place de la capitale kirghize. Armés de longs bâtons blancs, coiffés du chapeau traditionnel kirghiz, l’Ak-Kalpak, ils avaient arraché les banderoles des participantes et molesté plusieurs d’entre elles.

Présente sur place, la police n’avait rien fait pour les en empêcher. Pire: elle avait interpellé plusieurs militantes féministes, « pour leur propre sécurité ».

Au Kirghizstan, unique démocratie d’Asie centrale, l’égalité femmes-hommes est loin d’avoir trouvé sa place dans un agenda dominé par des thématiques populistes et la défense des valeurs traditionnelles.

Les mariages forcés ou la violence domestique sont systémiques et impunis, autant à cause de l’inaction des autorités que de la stigmatisation visant les femmes qui brisent le silence.

Nadira Massioumova, une organisatrice de la marche de 2020, est en tout cas persuadée que l’attitude de la police est la preuve de sa complicité avec les organisations soi-disant patriotiques.

« Beaucoup des filles avec qui on parle ont peur de l’Ak-Kalpak maintenant », dit-elle au sujet de cet emblème de la culture kirghize ayant sa fête nationale le 5 mars.

« C’est un symbole de pureté et de sagesse, mais beaucoup de femmes le perçoivent désormais comme un symbole d’agression et de terreur », poursuit la militante de 25 ans.

Pas question pour autant de baisser les bras: cette année, la marche défilera sous des slogans demandant l’égalité salariale et la fin du sexisme dans la santé et l’éducation, et des mesures ont été prises en cas de nouvelle attaque.

– Les valeurs protégées, pas les femmes –

Le combat ne s’arrête pas à la rue. Les groupes de défense des femmes ou des LGBT s’inquiètent de la réforme de la Constitution kirghize, considérée comme la plus libérale d’Asie centrale.

Un article de la future Constitution – un référendum est prévu en 2021 – permettrait d’empêcher les « événements (…) contraires aux valeurs traditionnelles » du pays, afin de protéger les « générations futures ».

Un des partis soutenant le texte est Nour, controversé pour avoir soutenu la loi islamique face à la Constitution laïque de ce pays musulman.

Le Kirghizstan « est un pays musulman » et « nos femmes devraient vivre raisonnablement dans le cadre des valeurs traditionnelles », explique à l’AFP Rouslan Beknazarov, membre de Nour, pour expliquer son opposition au défilé du 8 mars.

« On a donné des quotas aux femmes au Parlement, quels autres droits demandent-elles? », dit-il.

Les groupes patriotiques kirghiz ont gagné en influence après la révolution de 2010, profitant de la montée du sentiment religieux et du nationalisme dans un pays qui se cherche une histoire nationale.

– Une « vague de haine » –

Le plus connu est Kyrk Choro (40 Chevaliers). A sa création, il fit une descente dans un karaoké où des prostituées furent humiliées devant des caméras pour avoir frayé avec des hommes d’affaires chinois.

Trois dirigeants de Kyrk Choro ont refusé de répondre à l’AFP et le groupe a nié tout rôle dans l’attaque de 2020. En revanche, son implication dans le combat contre une exposition dénonçant les violences faites aux femmes, quelques mois auparavant, est avéré.

Devant durer 17 jours, en mémoire de 17 migrantes tuées dans un incendie en Russie en 2016, l’exposition avait ouvert par une performance nue d’une femme. Les visiteurs pouvaient aussi frapper un sac de boxe en forme de torse de femme ou reproduire les tâches ménagères effectuées par les femmes dans le pays.

Mais sous pression, la « Femminale » a dû fermer et la directrice du musée qui l’accueillait a démissionné. Altyn Kapalova, chercheuse et auteure pour enfants qui supervisait l’exposition, est devenue la tête de turc des groupes conservateurs kirghiz.

« Les gens ont dit que je devrais être brûlée, noyée, forcée à courir nue dans la ville – une vague de haine », explique-t-elle, ajoutant avoir pensé abandonner le militantisme.

« Ca m’arrive d’être en détresse. Mais ensuite des choses arrivent dans la vie de tous les jours, des choses qui obligent à défendre ses droits, les droits de ses enfants », ajoute-t-elle. Elle participera à la marche, lundi.

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