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Les éléveurs nomades tchadiens laissés pour compte voteront pourtant Déby

Aminé s’apprête à traverser la route qui sépare son campement d’éleveurs nomades des maisons des cultivateurs sédentaires, pour vendre son lait de chamelle encore chaud et mousseux et essayer de nourrir ses trois enfants malingres, à la veille de la présidentielle au Tchad.

Tous ceux de son clan d’éleveurs arabes de dromadaires, regroupés sous des tentes de fortune dans le quartier Walia Tradex, à la sortie sud de N’Djamena, se plaignent d’être laissés pour compte. Et réclament à cor et à cri juste de l’eau potable et une parcelle de terrain pour se sédentariser.

Mais ils voteront tous dimanche pour le président Idriss Déby Itno, qui dirige le Tchad depuis 30 ans. Parce qu’il est le garant « de la paix et de la sécurité », répètent invariablement femmes et hommes du clan.

Le Maréchal Déby est assuré de remporter son sixième mandat dimanche face à six candidats sans poids ou adoubés par le régime, après avoir écarté, légalement ou par l’intimidation, de rares figures d’une opposition désunie.

-« Paix et sécurité »-

Et dans un État à l’économie sinistrée malgré sa rente pétrolière, troisième pays le moins développé du monde pour l’ONU, et où 42% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, il bat la campagne quasi-exclusivement sur le thème de la « paix et la sécurité » qu’il assure avoir rétablies et dont il se dit le garant.

Aminé, comme toutes les femmes et les fillettes de son groupe originaire du nord, est reconnaissable à ses vêtements rouge vif ornés de perles dorées et sa lèvre inférieure bleuie au tatouage.

L’un des fléaux qui afflige le Tchad, comme d’autres pays de la région, c’est le conflit entre éleveurs nomades arabes et musulmans, venus de la bande sahélienne aride du pays, et les cultivateurs du sud, dont N’Djamena, noirs majoritairement chrétiens ou animistes, qui vivent dans le « Tchad utile » de l’ère coloniale française.

Ces conflits sont régulièrement très meurtriers, les cultivateurs reprochant aux éleveurs, le long de la route des transhumances, de détruire leurs plantations en faisant paître dromadaires, chèvres ou moutons sur leurs terres.

A 25 ans, Aminé arrive péniblement à vendre quotidiennement un litre et demi du lait d’une chamelle que d’autres familles du groupe lui prêtent par solidarité, pour un revenu aléatoire de 1.000 francs CFA (1,50 euro). A peine de quoi faire un peu de riz et la traditionnelle « boule », un amalgame de farine de céréales et d’eau.

« Ca fait cinq mois qu’on est ici, personne n’est jamais venu nous voir, nous sommes oubliés, on veut juste de l’eau pour boire et des parcelles de terre pour nous installer et élever nos enfants dignement », se lamente-t-elle.

Personne ? « Si, corrige Djibrine, 30 ans, l’un des hommes du groupe qui surveille une quinzaine de dromadaires sur un sol dur et craquelé par la sécheresse: « une équipe du MPS est venu il y a quelques jours pour nous expliquer comment voter ». MPS: le Mouvement Patriotique du Salut, le tout-puissant parti de M. Déby.

« C’est important de voter… pour le président Idriss Déby », ajoute vite Djibrine, « il nous a apporté la paix et la sécurité », explique cet homme né l’année où le rebelle Déby s’est emparé du pouvoir en chassant le régime sanguinaire de Hissène Habré, en 1990.

-« On a soif »-

« Sous Habré, on subissait les atrocités et les traitements inhumains », croit savoir le jeune homme. Les cinq adultes de son clan voteront pour le Maréchal. Pour nourrir sa femme et ses six enfants, il vend un dromadaire 175.000 à 200.000 francs CFA (265 à 300 euros) quand le pécule de la précédente vente est épuisé.

De l’autre côté de la route, des cultivateurs ont été déplacés là, dans des maisons en briques, eux, après que le fleuve Chari a débordé sur leurs cultures. Aucune pompe à eau côté nomades, des dizaines côté sédentaires…

« On traverse la route pour aller chercher de l’eau potable, mais la population nous la vend, 50 francs CFA le bidon », s’indigne Zenaba, une nomade de 35 ans. « On n’a rien pour boire ici, ça va être très dur pour le Ramadan », qui débute mardi, se lamente-t-elle, sous 45 degrés déjà en ce début de matinée.

« Je vais voter pour Idriss Déby », lance-t-elle, avant d’ajouter: « c’est vrai, il n’a rien fait pour nous, les pauvres, mais au moins il a instauré la paix et la sécurité ».

« Je vais voter pour le président Déby car il a apporté la paix et la stabilité », entonne à son tour le vieux chef du clan, Mahamat Ali Taher, assis entouré d’une nuée d’enfants dépenaillés et maigrichons.

« Mais nous aurions aimé que, depuis 30 ans, on nous octroie des parcelles et l’accès à l’eau potable, on a soif », glisse-t-il timidement.

Les six autres candidats ? « Je n’en connais aucun », reconnaît Mahamat Ali. « De toute façon, on ne voterait pas pour eux », insiste le chef.

gir-dwi/dyg/sba

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