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"Je ne pouvais plus fermer les yeux": à Calais, les petites mains de la solidarité

Pas le temps de lire le post-it sur la sonnette, suggérant de repasser plus tard, que le portail électrique s'ouvre. Chez Brigitte Lips, dont la maison est devenue une institution de l'accueil à Calais, les migrants sont toujours les bienvenus. Son garage ressemble à une caverne d'Ali Baba envahie par les multiprises, sur lesquelles sont branchés portables et autres traceurs GPS, que les exilés utilisent lors de leurs tentatives de traversée de la Manche. Dans des cartons, tout ce qui peut rafistoler les âmes embourbées dans l'antichambre d'une vie meilleure: aiguilles à tricoter, soupe, brosses à dent, chemises neuves…Bienvenue chez "Mamie", son surnom officiel auprès des exilés du littoral nord, depuis la crise migratoire de 2014. "Ce sont mes gamins!", sourit cette ancienne restauratrice de 65 ans, courts cheveux gris et lunettes en forme de papillons. La retraitée leur dédie sa vie, dans une ville à l'économie sinistrée où leur présence divise profondément.Mais si les Calaisiens se disent "fatigués" et lassés de la situation, selon un sondage Harris interactive pour Amnesty international, publié vendredi, ils accordent aux "aidants" comme Brigitte Lips un rôle de "régulateur".Pour cette Calaisienne de naissance, ouvrir sa porte était "la seule chose à faire", par conviction religieuse.Elle ne dira pas ce que cela lui coûte, seulement qu'elle ne va plus au restaurant, ni en vacances. – Fusil de chasse -Rien, jure-t-elle à l'AFP, ne la fera flancher. Ni le "harcèlement policier" qu'elle dénonce, ni le comportement de certains exilés, les vols, la fatigue. Parfois, elle doit monter le ton. Le 11 janvier 2020, elle a même dû sortir le fusil de chasse pour calmer les esprits.Autour d'elle, on s'est écarté ou on a suivi, au fil des années. Les migrants ? "Ca fait peur", Brigitte Lips l'avoue volontiers. Le jardin en témoigne: sa voisine a fait ériger un mur de 2m50."Elle ne voulait plus voir les migrants. Alors qu'ils ne sont pas chez elle, hein, ils sont chez moi."Une peur que Kathleen Desitter, 29 ans, cheveux rouges qui s'échappent d'un bonnet blanc, comprend pour l'avoir elle-même ressentie, à l'époque où elle a vu gonfler la "jungle" de Calais, en 2014."Les Calaisiens ne savent pas qui sont les exilés, pourquoi ils sont là. On est dans la peur de l'inconnu. Ici, on parle encore de Kosovars pour les désigner", raconte la travailleuse sociale, qui écume désormais les campements pour venir en aide aux mineurs isolés, avec le Refugee Youth Service. "Moi, je ne pouvais plus continuer à fermer les yeux."La ville, autrefois un fleuron de la dentelle, s'est "emmurée, barbelée, grillagée, déboisée", regrette-t-elle. Bref, elle est "devenue moche", pour fortifier la frontière avec l'Angleterre.Yolaine Bernard, polaire et chaussures de randonnée pour remplir son camion de croissants et de thé, se pose moins de questions: "On répond à un besoin primaire", explique-t-elle avant sa distribution de petits-déjeuners, qu'elle effectue "tous les jours de l'année", mais désormais hors du centre-ville, où la municipalité l'interdit.- Maison ouverte -Pour Philippe Demeestère, 71 ans, l'interdiction concernait la "crèche", qu'il a ouverte de manière éphémère l'hiver dernier, pour y héberger les exilés à la rue.Sa propre maison, "un lieu ouvert dont beaucoup de monde a les clés", continue en revanche d'être une "école du vivre-ensemble".Deux des six chambres contiennent quatre lits simples où dorment des migrants, qui peuvent aussi bien venir pour une simple douche ou des repas, qui se prennent souvent à vingt ou vingt-cinq, résume ce moine jésuite, longtemps au contact des sans-abri. "Sous prétexte que ce sont des exilés, on laisse prospérer l'inqualifiable", peste-t-il. C'est en réponse à "l'injustice extrême" dont Calais est le théâtre que nombre de bénévoles "s'affranchissent des règles" pour pencher vers un soutien toujours plus "extrême", lui aussi, observe Martine Devries, 72 ans, "aidante" et ancienne présidente de la Plateforme des soutiens aux migrants.La jeune génération, qui a grandi avec cette présence depuis vingt ans, se tourne déjà vers un "travail d'archives, de mémoire", confie Louise Druelle, artiste de 29 ans qui présente dans les écoles calaisiennes des dessins retraçant cette histoire."Il y a un gros tabou, un déni de réalité", explique-t-elle. "On aimerait dépasser ça et assumer que cette histoire fait partie de notre ville."

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