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Le Nobel de littérature sacre le romancier d’origine tanzanienne Abdulrazak Gurnah

Le Nobel de littérature a sacré jeudi le romancier Abdulrazak Gurnah, né à Zanzibar mais en exil au Royaume-Uni depuis un demi-siècle, pour ses récits sur l’époque coloniale et post-coloniale en Afrique de l’Est et les tourments de réfugiés coincés entre deux mondes.

Connu notamment pour ses romans « Paradise » (« Paradis », 1994) et « By the sea » (« Près de la mer », 2001), l’écrivain a été récompensé pour son récit « empathique et sans compromis des effets du colonialisme et du destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents », selon l’Académie suédoise qui décerne le prix.

Agé de 72 ans, il est le premier auteur africain à recevoir la plus prestigieuse des récompenses littéraires depuis 2003.

« C’est une chose merveilleuse. Je suis absolument submergé (par les émotions) et très fier. C’était complètement inattendu », a-t-il déclaré à l’AFP joint au téléphone, parlant d’un « immense honneur » et de sa « joie » de voir son travail ainsi récompensé.

Ayant des origines dans la péninsule arabique par sa famille, il a fui Zanzibar, un archipel de l’océan Indien, pour l’Angleterre à la fin des années 60. La minorité arabe était alors opprimée, quelques années après l’indépendance et la formation de la Tanzanie. Abdulrazak Gurnah n’a remis les pieds à Zanzibar qu’en 1984, au chevet de son père mourant.

S’il écrit depuis ses 21 ans, il n’a été publié qu’à partir de 1987, avec depuis dix romans et quelques nouvelles. Son dernier ouvrage, « Afterlives » (« Vies d’après, ndlr), la suite de « Paradise », se déroule au début du XXe siècle à la fin de l’époque coloniale allemande en Tanzanie.

Il écrit en anglais même si sa langue d’origine était le swahili.

– « Pas les mains vides » –

Au cours du premier entretien qu’il a accordé à la Fondation Nobel, le lauréat a appelé l’Europe à modifier son regard sur les réfugiés d’Afrique et la crise migratoire.

« Ils ne viennent pas les mains vides », a affirmé l’écrivain, soulignant qu’il s’agissait de « gens talentueux et pleins d’énergie ».

Le gouvernement tanzanien a salué la consécration d’Abdulrazak Gurnah, estimant qu’il s’agissait d’une « victoire » pour la Tanzanie et le continent africain.

« Vous avez sans aucun doute rendu justice à votre profession, votre victoire est celle de la Tanzanie et de l’Afrique », a déclaré sur Twitter le porte-parole du gouvernement.

Si l’Académie place Abdulrazak Gurnah dans la tradition littéraire de langue anglaise sous le patronage de Shakespeare et de V.S Naipaul, « il faut souligner qu’il rompt consciemment avec les conventions, bousculant la perspective coloniale pour mettre en valeur celle des populations locales », selon le jury Nobel.

Son oeuvre s’éloigne des « descriptions stéréotypées et ouvre notre regard à une Afrique de l’Est diverse culturellement qui est mal connue dans de nombreuses parties du monde », a-t-il expliqué.

« Je suis un observateur (…) J’écris sur ce qui se passe dans le monde dans lequel je vis et, en ce moment, (la question migratoire) est le thème, la préoccupation du monde dans lequel je vis », dit encore M. Gurnah à l’AFP, ajoutant : « c’est l’histoire de notre temps ».

Jusqu’à son récent départ à la retraite, il était professeur de littérature anglaise et post-coloniale à l’Université du Kent à Canterbury, où il était un fin connaisseur de l’oeuvre du Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka et du Kenyan Ngugi wa Thiong’o, qui figurait parmi les favoris pour le Nobel cette année.

« Aucun auteur aujourd’hui n’a si bien articulé les peines de l’exil et les récompenses de l’appartenance. Canterbury et le Kent sont à la fois sont à la fois son exil et sa maison », a réagi Bashir Abu-Manneh, le directeur de son ancien département universitaire.

Gurnah est aussi le premier auteur noir africain à recevoir la plus prestigieuse des récompenses littéraires depuis ce même Soyinka en 1986.

– « Une blague » –

Ce prix a déjoué tous les pronostics. Son propre éditeur en Suède, Henrik Celander, a expliqué qu’il n’aurait jamais imaginé qu’il décroche le Graal littéraire.

Quand l’Académie a appelé, « j’ai cru à une blague », a confié le lauréat.

« Son écriture a parfois du cynisme, pour nous réveiller, nous dire la mémoire, la perte et les migrants avant qu’on en parle tellement dans l’actualité », a déclaré à l’AFP Emmanuelle Colas, qui a publié l’écrivain en France au sein des défuntes éditions Galaade.

En sacrant une oeuvre centrée sur colonialisme et l’émigration, le Nobel consacre des questions actuelles entre excuses mémorielles et crispations identitaires.

Souvent critiqué pour son eurocentrisme, l’Académie cherche depuis 2019 à élargir ses horizons. Même si le président du comité Nobel avait pris soin de réaffirmer en début de semaine que le « mérite littéraire » restait « le critère absolu et unique ».

Sur les 118 lauréats en littérature depuis la création des prix en 1901, 95, soit près de 80%, sont des Européens ou des Nord-Américains.

Mais l’Académie se plaît à honorer des écrivains de l’ombre qui méritent à ses yeux la lumière du monde, avec le million d’euros qui va avec.

L’an passé, la poétesse américaine méconnue Louise Glück avait reçu le Nobel de littérature pour son oeuvre « à la beauté austère ».

La saison Nobel se poursuit vendredi à Oslo avec le très attendu prix de la paix, pour s’achever lundi avec l’économie.

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