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En Guyane, les nœuds sociétaux et culturels face à la vaccination

A peine un tiers de la population vaccinée, un confinement interminable, couvre-feu et restaurants fermés. Le Covid-19 ne relâche guère son étreinte sur la Guyane où « la norme sociale est défavorable à la vaccination », selon l’Agence régionale de santé (ARS).

Dans une interview exclusive à l’AFP, Clara de Bort, directrice générale de l’ARS Guyane, explique les complexes perceptions des décisions venues de métropole, sans évacuer ses propres erreurs de communication.

QUESTION: Comment expliquer le faible taux de vaccination en Guyane ?

REPONSE: Les données brutes masquent des différences infra-régionales. Santé publique France en Guyane estime à entre 60 et 70% la population éligible (supérieure à 12 ans) de l’Est guyanais vaccinée. A l’Ouest, on vaccine beaucoup moins. Il y a aussi probablement – on ne peut pas le démontrer – des différences entre communautés.

D’après des enquêtes de l’Institut Pasteur, il y a des gens qui voulaient se faire vacciner mais (…) soit voulaient attendre pour en savoir plus, soit avaient des doutes sur l’utilité du vaccin ou son innocuité. Nous avons aussi fait des recherches qui montrent que (…) pour des populations très précaires, qui cherchent d’abord à savoir ce qu’elles vont manger le soir et ont très peu de contact avec le système de santé, ce n’est pas évident de se dire: +je vais trouver une solution pour aller au vaccinodrome+.

Q: N’y a-t-il pas un problème de perception des décisions de la métropole ?

R: Il y a probablement un sujet de conformisme. Tant qu’il y a une majorité de gens non vaccinés, être conforme à sa communauté, c’est de ne pas le faire. Il y a des gens vaccinés qui se cachent. La norme sociale, en ce moment encore en Guyane, est défavorable à la vaccination.

On a toujours eu plus de stocks que de demande et en début de campagne, on a eu beaucoup de difficultés pour obtenir l’autorisation d’élargir les critères de vaccination plus vite qu’en métropole. Quand vous allez au fin fond de l’Amazonie et que vous avez deux Amérindiens de 51 et 49 ans, vous n’allez pas en vacciner qu’un… Si nous avions pu ne pas être coincés par des règles rigides – à juste titre pour la métropole – nous n’aurions pas mis de limite d’âge et nous aurions par exemple proposé tout de suite aux diabétiques de se vacciner.

Q: Avez-vous réclamé cette autonomie ?

R: Peut-être pas avec assez de force… mais on est dans un pays très à cheval sur l’égalité et on demande à être traités comme les autres. Comment intègre-t-on, dans des décisions d’arbitrage scientifiques, des fragilités individuelles et territoriales ? J’ai voulu moi aussi être solidaire, mais je pense qu’on a un peu raté notre démarrage.

Q: N’y a-t-il pas une forme de refus de décisions venus de Paris ?

R: Je veille à éviter tout relativisme culturel. La question de la défiance ou désintérêt vis-à-vis de décisions qui concernent le quotidien pèse probablement. Il y aussi des peurs qui ont été instrumentalisées. Comme il y a une forme d’incompréhension mutuelle entre l’Etat et cette région très éloignée, ce n’était pas rendre service au vaccin de l’associer exclusivement à un enjeu des autorités étatiques.

Je suis très critiquée sur mon mode de communication et certaines critiques sont fondées. Mais qu’ont attendu les chefs coutumiers, religieux, associations, leaders d’opinions ? Ils ne sont pas sortis du bois, je les comprends… Mais je ne demande pas le monopole de la communication vaccinale.

Q: Comment envisagez-vous l’avenir ?

R: Cela fait six mois qu’on n’est pas descendu en dessous de 150/100.000: vous ne trouverez pas un territoire en France avec, pendant six mois, une incidence aussi élevée. La durée des restrictions est infiniment plus longue qu’en métropole. J’ai grand espoir que la situation s’améliore et qu’on puisse relancer la vaccination en ayant repris contact avec la population. Peut-être qu’une bascule va se produire, qu’on aura moins honte de dire qu’on est vacciné.

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