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À Fessenheim, l’amertume d’un territoire qui voulait croire au nucléaire

Bientôt deux ans après l’arrêt de la centrale nucléaire, le territoire de Fessenheim (Haut-Rhin) aborde la campagne présidentielle avec une vive rancœur contre l’Etat, accusé d’avoir imposé une décision « politique », « absurde », et de ne pas avoir respecté ses promesses de compensations.

« Ici, on n’a pas peur de la centrale, on a grandi avec ». A 45 ans, Sophie Wendling se souvient avec nostalgie de l’époque où « on partait en vacances avec EDF », grâce au comité d’entreprise de l’énergéticien, et ses généreuses subventions.

« Maintenant c’est fini, nos enfants ne connaîtront jamais tout ça », déplore cette coiffeuse de 45 ans à la permanente impeccable qui ne comprend toujours pas le démantèlement programmé par l’exécutif, qui a invoqué des « coûts prohibitifs » pour remettre en état la plus ancienne centrale du pays installée sur la plus grande nappe phréatique d’Europe. « Aujourd’hui, la France doit racheter de l’électricité à l’étranger, plus chère, alors qu’on avait la capacité de la produire ici », assure-t-elle.

Alors, à la prochaine élection présidentielle, hors de question de soutenir un candidat antinucléaire qui invoque les dangers de l’atome comme l’accident de Fukushima: « On veut rouler à l’électrique, mais on ne pourrait plus produire d’électricité ? C’est irréaliste ».

Sur ce territoire où l’extrême droite fait régulièrement des scores élevés, la politique énergétique est un élément déterminant du vote. A Fessenheim en 2017, Marine Le Pen, opposée à la fermeture de la centrale, avait terminé en tête aux deux tours, quand Emmanuel Macron arrivait seulement troisième, derrière François Fillon et talonné par Nicolas Dupont-Aignan, deux ardents pro-nucléaires.

A en croire les affiches électorales collées dans la ville, toutes en faveur de la candidate du Rassemblement National, des résultats similaires sont à prévoir en avril. Marine Le Pen a d’ailleurs affirmé son souhait de « rouvrir Fessenheim » si elle entrait à l’Elysée.

– « Pas des moutons » –

Mais cette promesse, largement commentée ailleurs, agace localement: les habitants ont vu les convois exceptionnels évacuer les gigantesques rotors des turbo-alternateurs de la centrale et n’ont plus vraiment espoir de les voir revenir.

« On n’est pas des moutons, c’est pas parce qu’elle dit ça qu’on va voter pour elle, on réfléchit par nous-mêmes », raille Bilal Morchid, gérant du restaurant l’Eclipse, sur la commune voisine de Rumersheim-le-Haut.

A 48 ans, il a beaucoup perdu avec le départ des salariés d’EDF et des prestataires. « Ca a été un coup de genou dans l’estomac. C’était 90% de nos clients le midi. On les appelait par leur prénom, l’ambiance était belle. Quand ils ont dit +c’est notre dernier repas+, ça nous a fait bizarre ». Aujourd’hui, son établissement est en vente et il tente de développer un nouveau projet. « On survit. Si on n’avance pas, on est mort ».

L’impact économique local de la fermeture de la centrale demeure toutefois limité. Avec les départs de 370 agents EDF (50% des effectifs), c’est une manne de 5 millions d’euros annuels qui n’est plus dépensée dans les commerces, selon une étude de la région. Mais les aides liées à la pandémie ont globalement permis de limiter les dégâts.

Et si Fessenheim a perdu une centaine d’habitants en 2020, sur 2.400, les 70 nouveaux logements du « Jardin des poètes », un lotissement flambant neuf, ont rapidement trouvé preneur. Un nouveau quartier doit aussi voir le jour, dans un ou deux ans.

« Le village se développe malgré tout, nous avons beaucoup d’interactions avec l’Allemagne », souligne Dominique Schelcher, le directeur du Super U de la commune, par ailleurs le PDG du groupe. « J’ai toujours cru en ce territoire. D’ailleurs, j’investis 5 millions d’euros pour agrandir le magasin ».

Les promesses des politiques n’ont pas été tenues, déplore-t-il toutefois. « Il devait y avoir autant de nouveaux emplois que de postes supprimés à la centrale. Il n’y en a pas un seul ».

La relève tarde. Dans le périmètre de la centrale, un projet de technocentre d’EDF, s’il se concrétise, ne sera pas mis en service avant 2031, tandis que la nouvelle zone industrielle EcoRhena en est encore au stade de l’enquête publique.

– « Ping pong » électoral –

« On est laissés pour compte », résume le maire, Claude Brender. Lui voudrait que Fessenheim devienne un site d’expérimentation des petits réacteurs modulaires. « On a déjà les infrastructures, le foncier, et une population sensibilisée à l’atome », plaide-t-il.

Surtout, il réclame une politique énergétique pensée « sur le long terme », plutôt que l’actuel « ping-pong à chaque élection ».

« Ca fait 15 ans que Fessenheim est un enjeu électoral », fulmine-t-il. Désabusé par les têtes d’affiches, il compte apporter son parrainage à l’entrepreneur Rafik Smati, candidat pour le mouvement « Objectif France », après avoir été sollicité de toutes parts, en dernier lieu par Eric Zemmour venu jeudi à sa rencontre.

Il y a tout de même un dossier que les élus locaux voudraient voir boucler avant la présidentielle: la fiscalité. L’arrêt de la production nucléaire entraîne la perte de 6,3 millions d’euros de recettes fiscales annuelles pour la communauté de communes. Celle-ci bataille donc pour ne plus avoir à verser 2,9 millions chaque année à l’Etat, comme au bon temps de la centrale.

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