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Comment la guerre en Ukraine fragilise le partenariat Russie-Israël

Israël et la Russie ont bâti un partenariat qui peut être qualifié de pragmatique. Ces dernières années, la relation bilatérale a clairement suivi une tendance ascendante qui a culminé avec la signature d’un accord de coopération militaire et technologique en 2015.

La coopération s’est particulièrement matérialisée dans le cadre de la guerre en Syrie à travers un « mécanisme de déconfliction ». Ce dernier visait à empêcher les troupes israéliennes et russes de s’affronter sur le terrain et a permis à Tel-Aviv de mener la campagne aérienne « Operations beetween wars », prenant pour cible les positions de l’Iran et de ses alliés, sans être inquiété par Moscou.




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En outre, la présence d’une importante diaspora russe en Israël, qui représenterait 15 % de la population, a permis aux deux pays de tisser un lien particulier. D’autant qu’Israël a longtemps été considéré comme l’Eldorado des oligarques russes, dont certains possèdent la nationalité israélienne à l’exemple de Roman Abramovitch, Mikhail Fridman, Petr Aven et Viktor Vekselberg, aujourd’hui ciblés par les sanctions internationales en raison de leurs liens supposés avec Vladimir Poutine.

Mais l’agression de l’Ukraine par la Russie a rebattu les cartes.

Un partenariat à rude épreuve

Israël a condamné sans ménagement l’invasion de l’Ukraine et accusé la Russie de commettre des crimes de guerre. Les tensions se sont traduites par une série de déclarations particulièrement critiques.

Dès le 27 février, le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid a exigé qu’Israël refuse toute aide aux oligarques russes juifs visés par les sanctions internationales. Cette orientation s’est confirmée le 14 mars lorsqu’un haut diplomate israélien a déclaré que son pays s’efforcerait de contribuer à l’application des sanctions contre les oligarques russes.

Surtout, les relations ont été fortement mises à mal en mai dernier après un échange tendu entre le ministre des Affaires étrangères russe et son homologue israélien qui a frôlé la crise diplomatique. Les commentaires de Sergeï Lavrov lors d’une interview accordée à une chaîne de télévision italienne le 1er mai – laissant entendre que la judéité du président Zelensky ne l’empêchait pas de s’allier avec les nazis et établissant un parallèle avec Hitler qui, d’après le chef de la diplomatie, « avait peut-être du sang juif » – ont entraîné une réaction virulente des officiels israéliens.

Alors que le Kremlin associe quasi systématiquement les dirigeants ukrainiens au nazisme, ces manifestants de Tel-Aviv comparent au contraire Vladimir Poutine à Hitler et affirment qu’Israël se tient aux côtés de l’Ukraine.
Jack Guez/AFP

Le premier ministre Naftali Bennett et le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid ont qualifié ces commentaires de « mensonges », « racistes » et « suintant l’antisémitisme ». En réponse, le ministère russe des Affaires étrangères s’est empressé d’accuser le gouvernement israélien actuel de soutenir « le régime néo-nazi » de Kiev. Selon des sources israéliennes reprises par la presse francophone, Poutine aurait présenté ses excuses à Israël mais cette information a été démentie par le Kremlin.

Ainsi, après avoir tenté un temps de jouer les médiateurs entre la Russie et l’Ukraine pour préserver l’entente en Syrie, Tel-Aviv a abandonné cette posture prudente, ralliant la stratégie de condamnation et d’isolement de la Russie adoptée par la plupart des pays occidentaux.

« L’Occident contre le reste du monde »

La guerre en Ukraine révèle donc aujourd’hui deux tendances profondes :

D’un coté, il n’y pas eu de mobilisation unanime des alliés et partenaires stratégiques des puissances occidentales pour isoler la Russie, ce qui révèle le fossé grandissant entre l’Occident et le reste du monde. Comme l’écrit la spécialiste de la Russie Angela Stent dans un article intitulé « The West vs. the Rest » dans Foreign Policy, le président russe a eu raison sur un point : « “le reste” – le monde non occidental – ne condamnerait pas la Russie et ne lui imposerait pas de sanctions. Le jour où la guerre a éclaté, le président américain Joe Biden a déclaré que l’Occident ferait en sorte que Poutine devienne un “paria sur la scène internationale” – mais pour une grande partie du monde, Poutine n’est pas un paria ».

À cet égard, l’attitude de l’Inde, considérée comme un pays démocratique, partenaire stratégique des États-Unis et membre du QUAD, est révélatrice de la polarisation « The West versus The Rest ». Au-delà des intérêts économiques et commerciaux qui unissent l’Inde à la Russie, la « doctrine Jaishankar » (du nom du ministre indien des Affaires étrangères qui a développé une rhétorique critique à l’égard des puissances occidentales) est empreinte d’une vision idéologique considérant le clivage entre l’Occident et l’Orient comme structurant.

Lors d’un discours prononcé le 1er octobre 2019 devant le think tank Atlantic Council – auquel fait référence le magazine international The Dipomat en le replaçant dans le contexte de la guerre d’Ukraine –, Jaishankar a rappelé les « deux siècles d’humiliation nationale » au cours desquels « “l’Occident” a soutiré à l’Inde quelque “45 000 milliards de dollars” en valeur (tout en soumettant la Chine à un seul siècle d’humiliation nationale). Dans cette formulation, les États-Unis font définitivement partie de “l’Occident” et l’Inde de “l’Orient ».

Guerre en Ukraine : le double jeu de l’Inde – Le Dessous des cartes – L’Essentiel | Arte, 5 mai 2022.

L’Inde s’est abstenue lors des votes successifs au Conseil de sécurité, à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui ont condamné l’invasion russe de l’Ukraine, s’accrochant fermement à une position de neutralité. New Delhi et Moscou œuvreraient également à la mise en place d’un mécanisme de paiement dans leurs monnaies nationales respectives pour contourner les sanctions occidentales contre les banques russes.

D’un autre côté, la guerre en Ukraine a permis l’unification politique des puissances occidentales, Israël faisant partie intégrante de ce bloc. Tel-Aviv se trouve, en effet, dans l’incapacité de se placer en dehors du consensus atlantique pour affirmer à l’instar de l’Inde, du Brésil, de l’Afrique du sud ou encore de l’Arabie saoudite et des Émirats son autonomie stratégique et cela pour plusieurs raisons.

Une alliance organique qui influe sur les choix politiques

Contrairement, aux autres pays, Israël n’est pas un allié stratégique mais organique des puissances occidentales et, dans la représentation israélienne dominante, sa survie dépend de ce soutien indéfectible.

La construction par Israël d’une menace existentielle – historiquement incarnée par les pays arabes, aujourd’hui par l’Iran et ses alliés – explique sa crainte qu’un acteur, dans son environnement immédiat, puisse acquérir des moyens militaires franchissant un seuil qualitatif. Le maintien de la supériorité militaire qualitative d’Israël (« Qualitative Military Edge ») a toujours été garanti par les États-Unis. Dans le cadre du protocole d’entente décennal pour la période 2019 à 2028, Washington a attribué à Israël une aide militaire de 38 milliards de dollars. Au seul titre de l’année 2022, l’administration Biden a demandé 3,3 milliards de dollars de subventions pour le financement militaire étranger d’Israël et 500 millions de dollars d’aide à la défense antimissile.

États-Unis-Israël : en rencontrant Joe Biden, Naftali Bennett veut un nouvel élan • FRANCE 24, 26 août 2021.

Mais Tel-Aviv n’est pas seulement tributaire de l’aide américaine qui l’empêcherait de se positionner de manière indépendante des États-Unis. En effet, cette alliance organique renvoie aussi à une communauté de vision stratégique.

Une représentation partagée des défis stratégiques

Le rapport « Russia in the Middle East : National Security Challenges for the United States and Israel in the Biden Era » élaboré en 2021 par un groupe de travail réunissant à la fois des intellectuels et d’anciens militaires américains et israéliens traduit une représentation partagée du rôle de la Russie et définit les priorités d’une approche stratégique conjointe. On y trouve notamment ce passage :

« Les États-Unis et Israël devraient élever la Russie au rang de priorité stratégique dans leurs relations bilatérales et accroître la consultation et la coordination officielles pour contenir les défis que la Russie pose aux deux pays, au Moyen-Orient et dans les domaines cybernétique et technologique ».

La guerre en Ukraine a mécaniquement renforcé le fossé qui existe entre Israël, arrimé à l’Occident, et la Russie, les deux n’ayant jamais été des alliés stratégiques mais de simples partenaires pragmatiques. Si la convergence en Syrie n’est pas remise en cause à l’heure actuelle, elle demeure suspendue au devenir d’une relation bilatérale qui s’est fortement détériorée.

La guerre en Ukraine offre donc un point d’observation privilégié des transformations en cours de l’ordre international. Elle cristallise les divergences entre, d’une part, un camp occidental réunifié qui entend accroître le coût politique et économique de l’intervention militaire en Ukraine en mettant à genoux la Russie et en envoyant un signal fort à la Chine, et d’autre part les pays qui, guidés par la défense de leurs intérêts économiques et géopolitiques, cherchent à affirmer leur autonomie stratégique.

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