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L’intelligence relationnelle, nouvel enjeu du management

À la fin des années 1990, Zygmunt Bauman, sociologue possédant la double nationalité britannique et polonaise, théorisait l’avènement d’une « société liquide » qu’il définissait ainsi :

« Une société “moderne liquide” est celle où les conditions dans lesquelles ses membres agissent changent en moins de temps qu’il n’en faut aux modes d’action pour se figer en habitudes et en routine… Cela devient ainsi une société où, par exemple, ni le travail, ni l’amour, ni l’amitié ne sont plus des structures solides… »

Autrement dit, nous assistons à la remise en question d’une « stabilité relationnelle » qui a perduré jusqu’au XXe siècle. Chaque personne avait alors durant toute sa vie une même famille, un même travail, un même logement et un même lieu d’habitation. Cette stabilité relationnelle est aujourd’hui bousculée dans la société française :

Notre société est ainsi marquée par une recomposition constante des relations humaines. L’organisation du travail est donc elle aussi impactée par cette fragmentation relationnelle, qui plus est, après la crise sanitaire.

Le fondement du lien de subordination en entreprise se fonde en effet sur la situation suivante : le managé accepte le pouvoir du manager de le récompenser ou de le punir. Il s’agit là d’une conception verticale des relations sociales, bien loin d’une conception collégiale qui correspond davantage aux attentes des salariés autant qu’à l’efficacité et à la créativité du travail.

De plus, contrairement à ce que l’on pense, l’essor du numérique produit des informations de plus en plus denses mais qui génèrent un relationnel de plus en plus pauvre, du fait de « la fin des échanges et des rencontres directes », selon l’expression du sociologue Philippe Breton.

Il devient donc essentiel d’aider chacun à se « relationner » avec les autres pour générer des échanges réguliers fondés sur la confiance et la responsabilité.

Des démarches spécifiques

Dans la société liquide, il est essentiel que chacun s’appuie sur des démarches et outils qui permettent de comprendre autrui, de se réguler et de s’y adapter. C’est l’« intelligence relationnelle » qui constitue un levier pour soutenir cette évolution managériale. Cependant, cette notion ne fait pas l’objet d’une définition stabilisée, comme l’illustre notre article de recherche. Nos travaux précisent que cette intelligence relationnelle doit avant tout se concrétiser à travers des démarches spécifiques pour apprendre à faire relation.

Ainsi, en près de 50 ans, nos amis québécois ont développé différentes démarches relationnelles (groupes de paroles, communautés virtuelles, ateliers d’échanges de pratiques, codéveloppement professionnel, médiation, etc.). Largement diffusées ces dernières décennies, toutes ces démarches visent à améliorer le relationnel entre les personnes.

Parmi ces démarches, on retrouve la médiation qui s’est déployée dans la province canadienne à partir des années 1980 pour gérer des conflits professionnels ou familiaux. La médiation cherche à recréer du lien entre deux parties prenantes, qui ne parviennent plus à dialoguer dans le cadre d’un conflit qui les divise. Elles sont volontaires pour suivre des séances animées par un tiers, le médiateur, qui est formé, en particulier, pour réguler leur « trop-plein émotionnel » et les guider à travers différentes étapes.

Le médiateur commence par inviter les médiés à expliciter l’objet de leur conflit. Puis, la reformulation qu’il en fait leur permet d’entrer dans le processus essentiel de triangulation qui les autorise à s’exprimer sans avoir à échanger frontalement avec l’autre.

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La psychologue Stella Delorme, spécialiste de la médiation, indique que la seule présence d’un médiateur entraîne la formalisation d’un espace transitionnel dans lequel les médiés se décentrent, c’est-à-dire qu’ils se refocalisent sur le conflit plutôt que sur l’autre, objet du rejet.

Le médiateur est le garant du cadre de la médiation (confidentialité, non-agressivité des personnes entre elles, respect mutuel, respect des horaires et des objectifs, etc.). Mais surtout, en reformulant les points de désaccord, le médiateur crée les conditions de compréhension mutuelle des émotions de chacun permettant d’aller au base de leur conflit.

Une autre de ces démarches innovantes « québecoises », le co-développement professionnel, vise, elle aussi, à renforcer l’intelligence relationnelle. Il s’agit d’une méthode qui se développe à la fin des années 1990 afin d’améliorer les relations interpersonnelles dans un groupe. L’animateur, à l’instar du médiateur, est formé pour accompagner un groupe de 5 à 8 personnes volontaires qui se réunit à intervalle régulier.

L’animateur est le garant du cadre (confidentialité, objectifs, horaire, structuration des échanges, etc.), comme le médiateur. Chaque séance aborde une difficulté professionnelle réellement rencontrée par un des participants. Tous les participants proposent des solutions, après avoir pris le temps de comprendre le problème exposé. Ils prennent conscience de l’importance de l’apport d’autrui tout autant que de la nécessaire humilité face à la propre vulnérabilité de chacun : encore un processus de décentrement.

(Ré)apprentissages

L’étude approfondie de ce dispositif dans le cadre d’une thèse de doctorat, menée auprès d’une grande mutuelle française, a mis en exergue que les salariés et managers qui pratiquent le codéveloppement dressent trois constats majeurs.

D’abord, l’entreprise doit proposer des espaces-temps pour que les personnes puissent assumer et dévoiler leur vulnérabilité et leurs émotions dans un cadre de sécurité psychologique. Aussi, chacun des participants cherche à faire preuve d’intelligence relationnelle en (ré)apprenant des capacités d’écoute active, de questionnement, de non-jugement et d’humilité permettant d’entrer en relation de manière authentique et fluide avec autrui.

Enfin, la figure et le rôle de l’animateur sont, là aussi, déterminants dans l’orchestration de relations harmonieuses entre les personnes. La posture de l’animateur du co-développement illustre l’importance d’établir un système de régulation des échanges et de respect d’un cadre déontologique collectif en entreprise.




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Ces démarches contribuent ainsi à créer du lien et à améliorer la qualité des échanges entre les personnes, qui (ré)apprennent le sens du relationnel. Les participants acquièrent les capacités de donner, d’échanger, de partager, de montrer leur vulnérabilité sans crainte. Ce sont tous ces (ré)apprentissages qui forment l’intelligence relationnelle, entendue comme la capacité à dépasser les comportements individualistes pour comprendre l’autre dans une dynamique collective.

Le problème est que ces démarches sont toujours déployées séparément, alors qu’elles sont complémentaires. Ainsi, il faut les envisager comme étant un dispositif, notion développée par le philosophe Michel Foucault en 1994, qui renvoie à la façon dont une société (re)structure les liens entre ses membres par différentes actions. L’intelligence relationnelle s’inscrit ainsi dans une vision systémique, à travers un dispositif qui articule différentes démarches complémentaires. Ce sont à ces conditions que vont pouvoir exister des modes de travail horizontaux générateurs de coopération, tout autant que de bien être et d’efficacité.

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