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Qu’est-ce que le « plan Matignon » que prépare le RN

À l’annonce de la dissolution par le président de la République le dimanche 9 juin, le RN a activé « un plan Matignon ». Concrètement, il s’agit d’une sélection de candidats pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains, avec CV et photos pour les tracts de campagne.

Cette opération – qui est d’abord une opération de communication – est manifestement planifiée depuis quelques mois au sein de l’état-major du parti d’extrême droite, en cas de dissolution, avec l’objectif d’accéder au poste de chef du gouvernement. Ce « plan Matignon » rappelle que le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen travaille, non sans peine, son implantation locale pour capitaliser sur ses succès électoraux.

Implantation locale

Lorsqu’elle arrive à la tête du FN en 2011, Marine Le Pen (ré)investit stratégiquement le thème de l’implantation locale comme un levier stratégique de son accession au pouvoir central. Elle devient sa priorité, comme elle l’exprime dans son discours de clôture de l’université d’été de son parti de septembre 2012 :

« Partout dans nos régions, dans nos villages, dans nos villes, le Front national est en train de se réorganiser, de s’implanter, de professionnaliser ses méthodes. Il devient chaque jour plus présent, plus réactif, en mesure d’utiliser les bonnes volontés qui se présentent à lui. […] Évidemment, l’implantation locale de notre famille à tous est une priorité que j’ai placée en tête de tout. Nous devons être à chaque coin de rue, à la sortie de toutes les usines, au contact de tous les Français qui comptent sur nous ».

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C’est un aspect que négligeait davantage Jean-Marie Le Pen. Dans un souci de se démarquer de son père, Marine Le Pen a fait des élections locales un marqueur de sa stratégie politique, s’inscrivant dans les pas de Bruno Mégret, n°2 du parti et promoteur de cette approche dans les années 1990.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le « plan Matignon » de juin 2024 a été préparé par Gilles Pennelle et Philippe Olivier qui avaient tous les deux suivi Bruno Mégret au sein du Mouvement national républicain (MNR) lors de la scission en 1999.

Ancien membre du MNR comme eux, Nicolas Bay a joué dans la décennie 2010 le rôle d’artisan de l’implantation locale. Dans le cadre de mes observations à la convention nationale à Paris pour les élections départementales de mars 2015, il concluait ainsi son discours :

« Nos victoires de 2015 annonceront la victoire, soyez-en sûrs, de celle qui porte l’espoir du peuple de France : Marine Le Pen ! »

Auprès des militants FN-RN, l’entourage de Marine Le Pen a propagé l’idée que les scrutins locaux constituaient une étape incontournable dans la prise du pouvoir au niveau national. Le « plan Matignon » s’inscrit dans cette lignée.

Professionnalisation politique

« Recruter », « former », « professionnaliser », « crédibiliser » : ces mots d’ordre ont été répétés à l’envi par les dirigeants frontistes dans les années 2010 et 2020 pour répondre aux accusations d’amateurisme et d’inexpérimentation qui visent leur parti.

Boosté par sa pénétration dans différents pans de la société française, le parti frontiste a densifié ses réseaux d’élus depuis les élections municipales de 2014 qui ont marqué une étape importante dans sa réimplantation.

Pour composer ses listes et présenter des candidats en nombre, le parti d’extrême droite s’est largement appuyé sur les réseaux familiaux de ses soutiens, à l’image des six membres d’une même famille candidats aux départementales de 2015 en Haute-Loire.

Le FN-RN a pu également compter sur ses liens avec le milieu catholique traditionaliste ou encore le mouvement identitaire qui constitue un petit vivier de cadres.

Le bond le plus spectaculaire a eu lieu à l’Assemblée nationale où le parti d’extrême droite est passé de 2 députés en 2012 à 8 en 2017 pour atteindre 89 en 2022. Son groupe parlementaire pourrait encore s’étoffer au soir du dimanche 7 juillet 2024.

Des députés RN mieux armés

Le FN-RN a ainsi consolidé ses positions dans des territoires politiques principalement dans le Nord-Est et le Sud-Est de la France. L’accès à des fonctions électives a permis à certains membres du FN-RN d’entrer en politique, d’entamer des carrières et de se professionnaliser.

Parmi les 89 députés élus en juin 2022, 73 exerçaient déjà un mandat électoral et 32 avaient exercé des métiers proches de la politique, comme assistant parlementaire ou chef de cabinet, favorisant la maîtrise des codes et des usages de la vie politique.

Depuis deux ans, les néodéputés frontistes peuvent s’entourer de collaborateurs parlementaires à Paris et en circonscription, accroître leur notoriété dans leur territoire d’élection, entretenir des relations avec les représentants des institutions locales, comme les préfets et les maires, et cultiver leur ancrage local par une présence sur divers événements festifs et populaires.

Dans les années à venir, il faudra voir comment la direction du FN-RN parvient à gérer des élus qui pourraient se constituer un capital politique individuel et s’émanciper d’un parti à qui, pour le moment, ils doivent tout.

Mais l’implantation locale du FN-RN n’a rien d’irréversible : aux élections municipales de 2020, le parti d’extrême droite n’a fait élire que 827 conseillers municipaux contre 1 498 en 2014. De même, il est passé de 358 conseillers régionaux en 2015 à 252 en 2021 et de 62 conseillers départementaux en 2015 à 26 en 2021, marquant un recul de sa présence dans les assemblées régionales et départementales.

De plus, le parti frontiste est encore représenté dans nombre de territoires par des candidats très peu rodés à l’exercice politique et médiatique.

Le nerf de la guerre

Si le FN-RN investit le terrain des élections locales dans les années 2010 et 2020, c’est aussi pour des raisons financières. Le déploiement territorial du parti représente une source de financement à travers plusieurs canaux : les recettes liées aux manifestations locales, les cotisations des adhérents (1 541 962 euros en 2022) ou encore le reversement d’une partie des indemnités des élus au parti pour un montant supérieur à 1 million d’euros en 2022.

Surtout, les dotations publiques constituent une manne pour le parti frontiste. L’aide publique versée au RN en 2023 dépasse les 10 millions d’euros, ce qui en fait la deuxième formation politique la mieux dotée derrière le camp présidentiel.

Les concepteurs du « plan Matignon », préparé spécialement pour les législatives, ne s’y sont pas trompés : ces élections déterminent le niveau des financements publics à travers deux paramètres, le nombre de suffrages recueillis dans toutes les circonscriptions au premier tour et le nombre de parlementaires. Comme ses concurrents politiques, l’organisation frontiste a donc tout intérêt à développer son enracinement territorial pour bénéficier de financements publics.

De manière officieuse, les élections locales rapportent également de l’argent au FN à travers un montage financier lucratif qui repose sur la réalisation de « kits » de campagne vendus aux candidats et remboursés ensuite par l’État comme frais de campagne.

Un parti hypercentralisé

Dans sa mise en œuvre, le « plan Matignon » met en exergue le fonctionnement hypercentralisé du RN, une constante dans l’histoire du parti d’extrême droite. La discipline partisane à l’œuvre au RN pour les investitures contraste avec la désorganisation, pour ne pas dire le chaos, qui a saisi Les Républicains après la dissolution.

Selon une chaîne de commandement verticale, Jordan Bardella aurait chargé les délégués départementaux de vérifier la disponibilité des candidats pressentis.

La mainmise de la famille Le Pen sur le parti est un élément déterminant pour comprendre les rapports de pouvoir au sein du FN-RN qui apparaît comme un « parti patrimonial » pour reprendre la notion de Safia Dahani. C’est par exemple que Jean-Lin Lacapelle, un proche de Marine Le Pen, a été désigné candidat dans le Loiret, toute comme Marie-Caroline Le Pen, ainée des filles de Jean-Marie Le Pen, candidate dans une circonscription perçue comme gagnable en Sarthe.

Parachutages

À l’image de ces proches de la direction centrale, le parachutage est une routine partisane éprouvée par le FN-RN. L’envoi de responsables, proches de la direction, dans des territoires électoralement favorables, est monnaie courante depuis les années 1980. Élu député de Moselle en juin 2022, Alexandre Loubet indiquait sans détour : « je suis parachuté à 300 % ». Les territoires d’élection sont envisagés au FN-RN comme des apanages permettant de rétribuer les proches de la direction centrale du parti et favoriser leur carrière politique.

Mais les parachutages permettent aussi de reprendre le contrôle de fédérations minées par des tensions ou des velléités d’émancipation locale vis-à-vis de la tutelle nationale.

Mon enquête de terrain dans l’Yonne montre comment un groupe de militants appartenant aux petites classes moyennes a tenté de prendre le contrôle de la fédération avant d’être évincé à la suite de la nomination de Julien Odoul comme responsable départemental quelques mois seulement après son recrutement au sein du cabinet de Marine Le Pen.

La direction nationale du FN-RN fait régulièrement le ménage dans ses fédérations pour restaurer son autorité sur l’appareil militant, sur fond de concurrence accrue pour la conquête des postes au niveau local.

Dans sa conception et sa mise en œuvre, le « plan Matignon » ne déroge pas à la prédominance de la direction nationale du FN-RN sur les fédérations, du centre sur les périphéries, de Paris sur les régions, de la famille Le Pen sur l’ensemble du parti.

Guillaume Letourneur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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