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Un chef de parti peut-il prétendre au poste de premier ministre sans être candidat aux élections législatives ?

Jordan Bardella n’est pas candidat aux élections législatives. Pourtant, il est le prétendant déclaré du Rassemblement national aux fonctions de premier ministre en cas de victoire de son parti. Cette prétention serait totalement infondée chez nos voisins européens.

Dans ces régimes parlementaires, le premier ministre est le leader du parti majoritaire à la chambre. Sa position de leader n’est pas seulement conférée par les militants qui l’ont désigné à la tête du parti, elle l’est surtout par les électeurs qui lui ont donné leur confiance. Ainsi, en Allemagne, les têtes de liste sont les candidats au poste de Chancelier désignés par leur parti. De même, au Royaume-Uni, il est habituel d’affirmer que le premier ministre est élu au suffrage universel indirect à ce poste, à l’occasion des législatives qui précèdent la constitution du Gouvernement. Il y est même totalement impensable qu’un non parlementaire devienne ministre – et a fortiori Premier ministre, puisqu’il ne pourrait pas entrer dans les chambres pour y défendre ses projets de loi (ainsi, David Cameron n’a pu devenir ministre des Affaires étrangères qu’après avoir été nommé Lord par le Roi).

Devenir premier ministre, un choix présidentiel

Certes, la France est un régime parlementaire particulier et un individu peut devenir ministre sans avoir jamais brigué un mandat électif. Ainsi, en 2014, Emmanuel Macron est-il devenu ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, sans avoir été député, sénateur ou élu local auparavant.

Une personnalité peut même devenir Premier ministre sans avoir jamais été préalablement parlementaire. Tel fut le cas, lors de la 15e législature (2017-2022) de Jean Castex. Avant lui Dominique de Villepin, Raymond Barre et même Georges Pompidou ont été nommés premier ministre sans s’être auparavant confrontés aux électeurs.

La Constitution offre en effet au président de la République un large pouvoir de choix. Son article 8 prévoit simplement :

« Le président de la République nomme le premier ministre ».

Son pouvoir n’est lié à aucune consultation préalable obligatoire et il n’y a aucune élection ou investiture parlementaire du Gouvernement ou de son chef. Il n’est même pas soumis à contreseing.

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Dans la pratique, un choix encadré

Mais la Ve République reste par essence un régime parlementaire et les silences constitutionnels sont complétés par les usages et conventions de la Constitution. Ces règles issues de la pratique politique s’imposent aux institutions et assurent la cohérence de la construction institutionnelle.

Ainsi, au Royaume-Uni, ce sont ces usages et conventions de la Constitution, non écrits, qui imposent au Roi de nommer le leader du parti majoritaire à la Chambre des communes. Aucun monarque n’a au cours du dernier siècle envisagé de s’y opposer.

Ces règles s’appliquent également en France pour encadrer notamment le choix du Premier ministre par le président de la République. Cet encadrement se fait plus ou moins pressant selon la situation politique.

En cas de concordance des majorités parlementaire et présidentielle, le président est le leader de la majorité parlementaire. Il lui appartient donc de trouver quelqu’un qui puisse exercer les fonctions de premier ministre en disposant de sa confiance et, par voie de conséquence, de celle de la majorité à l’Assemblée.

En période de cohabitation, c’est-à-dire de discordance des majorités, le président n’est plus le leader de la majorité parlementaire. Il a perdu sa capacité de choisir celui qui lui conviendrait le mieux, il doit choisir le leader du parti majoritaire à la chambre. (Jacques Chirac en 1986, Lionel Jospin en 1997 avec une majorité de coalition, ou quelqu’un désigné par celui-ci : Édouard Balladur en 1993).

Cohabitations : les PM ont toujours été députés

À l’occasion de chacune de ces élections qui ont amené à une cohabitation, ceux qui entendaient devenir Premier ministre en cas de victoire de leur parti ont également été candidats aux élections législatives. Cela a également été le cas lors de chacune des dissolutions.

Seule exception : Georges Pompidou en 1962, mais il s’agissait d’une dissolution visant à trancher un conflit entre le président et l’Assemblée – il aurait été malvenu que le premier ministre y obtienne une légitimité plus récente que celle du président, élu en 1958.

Il semble donc naturel que le leader du parti qui entend être majoritaire au soir des élections soit candidat, et élu. Cela est d’autant plus vrai lorsque les législatives sont consécutives à une dissolution. En effet, dans ce cas, le président de la République demande au peuple en cours de mandat de renouveler sa majorité et donc sa légitimité présidentielle, ses opposants cherchent eux à exercer légitimement le pouvoir en obtenant une majorité de sièges à l’Assemblée.

Une légitimité électorale essentielle

Élections, cohabitation, dissolution, tout est ici question de légitimité électorale : la légitimité contestée du président de la République (2024, 1962, 1968) le conduit à rechercher une nouvelle onction populaire. Les opposants, conscients que leur victoire annonce une période de cohabitation, cherchent également à légitimer leur prochaine interprétation de la Constitution qui visera à limiter les pouvoirs du président en s’appuyant sur une large majorité.

Dans les deux cas, la source de cette légitimité relève de ce que le sociologue Max Weber qualifie de légitimité rationnelle légale. Celle-ci s’oppose à la légitimité charismatique, qui repose sur la valeur personnelle d’un homme. On pourrait la résumer par « obéissance au chef parce qu’il est le chef ». Cette légitimité est fragile : elle s’estompe avec le temps et l’éloignement de la victoire. Lui succède alors la légitimité historique, qui repose sur la tradition, une « obéissance par habitude ».

Seule la légitimité rationnelle légale fonde l’obéissance sur la sélection rationnelle des dirigeants à l’issue d’une procédure établie préalablement : l’élection, la plupart du temps.

Une légitimité parcellaire

En refusant de candidater aux élections législatives, Jordan Bardella, s’il devient Premier ministre, se prive donc de cette source de légitimité. Certes, il est le leader du parti majoritaire et, à ce titre, il conduit la campagne législative du RN. Mais il continuera de ne disposer que d’une légitimité charismatique : insuffisante à elle seule dans une démocratie.

Certes, il vient de remporter les élections européennes, mais celles-ci ne portaient pas sur la direction du pays, seulement la désignation de représentants au sein d’une organisation internationale (particulière, on en convient, du fait des transferts de compétences des États vers l’UE). Cette élection n’avait pas vocation à faire de lui le futur Premier ministre de la France.

L’absence de candidature aux élections législatives ne l’empêchera pas de devenir Premier ministre si son parti remporte les élections. On envisage difficilement le président refuser de lui confier cette responsabilité au prétexte qu’il n’est pas député. En revanche, le refus assumé de s’être confronté aux électeurs risque d’entacher la légitimité de ses décisions.

Cette décision interroge, d’autant plus qu’il lui aurait été facile de trouver une circonscription acquise. Sans doute la question de la direction du groupe parlementaire RN a-t-elle pesé dans ce choix, soulignant en creux que la victoire aux législatives n’est pas le seul scénario envisagé par le RN. En effet, si le parti n’obtenait pas de majorité au parlement, le poste de premier ministre ne reviendrait pas au RN. La répartition des pouvoirs « Jordan Bardella, premier ministre ; Marine Le Pen, présidente de groupe » ne fonctionnerait plus. Si Marine Le Pen et Jordan Bardella étaient élus, ils se retrouveraient alors en compétition pour la présidence du groupe. Lequel apparaitrait comme le candidat naturel ? La figure historique ou celui qui aurait conduit la campagne ? La personne porteuse de légitimité historique ou celle de légitimité charismatique ? Peut-être éviter cette confrontation de deux sources de légitimité explique le choix de Jordan Bardella.

Plus largement cette situation révèle le malaise démocratique de la société française, prête à fonder sa confiance sur l’autorité du chef et non sur la légitimité électorale.

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