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Comprendre les enjeux de l’abstention, des européennes aux législatives anticipées

La dissolution totalement imprévue de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, moins d’une heure après la fermeture des bureaux de vote pour les européennes dans les grandes villes, a lancé une nouvelle campagne électorale, qui sera très courte.

Le niveau de la participation électorale, dans ce contexte très particulier d’une possible arrivée au pouvoir du Rassemblement national, est un enjeu très important qu’on peut essayer d’éclairer, à la lumière des scrutins passés. D’autant que cette participation sera beaucoup plus forte qu’aux européennes et qu’aux législatives précédentes.

L’abstention aux européennes en légère baisse

L’abstention a légèrement régressé aux dernières élections européennes, celle-ci passant de 49,9 % en 2019 à 48,5 % en 2024. Cette baisse est difficile à interpréter. Les votants ne semblent pas s’être davantage exprimés en fonction des enjeux européens. 55 % disent avoir fait leur choix en fonction des questions européennes, mais ils étaient déjà 57 % à adopter cette réponse en 2019 (source : Ipsos). Beaucoup ont donc voté en fonction des enjeux nationaux, surtout pour sanctionner le pouvoir présidentiel.

Le mécontentement à l’égard du pouvoir en place a conduit à une faible mobilisation des électeurs de la majorité gouvernementale. 53 % de ceux qui disaient apprécier l’action d’Emmanuel Macron se sont abstenus, alors que ce n’était le cas que de 47 % chez ceux qui ne l’apprécient pas. L’électorat du Rassemblement national apparaît beaucoup plus mobilisé : seulement 40 % des électeurs de Marine Le Pen au premier tour présidentiel de 2022 se sont abstenus aux européennes.

Cette surmobilisation de l’électorat de la droite radicale s’observait déjà en 2019 et 2014. Alors que l’abstention était en moyenne de 57,6 % en 2014, elle n’était que de 50 % parmi les électeurs qui avaient voté Front national à la présidentielle de 2012. La droite radicale se mobilise assez facilement dans les scrutins intermédiaires (sans enjeu de pouvoir national), ce qui lui permet d’y faire souvent de très bons scores. Alors que la majorité au pouvoir n’obtient pratiquement jamais un bon résultat dans ces scrutins car certains électeurs de cette majorité, mécontents des politiques menées par leur camp, s’abstiennent.

Mais en 2024, le désaveu a été particulièrement fort. Au-delà de l’abstention, le mécontentement s’est aussi traduit par des votes pour une autre formation politique. C’est ce qui explique le bon résultat de la liste Parti socialiste-Place publique, qui a récupéré des suffrages venant de la Macronie mais aussi des autres partis de gauche.

L’écart entre le RN et la majorité présidentielle n’était en 2019 que de 0,9 point (23,3 % pour la liste RN et 22,4 % pour Renaissance) alors qu’il est énorme en 2024 (31,4 % pour le RN contre 14,6 % pour la liste de Valérie Hayer, soit un différentiel de 16,8 points). Le vote sanction a donc joué à plein.

Qui sont les abstentionnistes ?

Le principal clivage se situe depuis déjà très longtemps entre les générations. Aux dernières européennes, 60 % des 18-24 ans se sont abstenus contre seulement 29 % des 70 ans et plus.

Les jeunes ne sont pas moins politisés que les plus âgés mais ils ont un rapport différent au vote. Dans des sociétés d’Europe de l’Ouest très individualisées, ils se rendent de moins en moins aux urnes pour accomplir leur devoir électoral, ils n’y vont que lorsqu’ils estiment avoir une raison forte de s’exprimer, ce qui explique le caractère très intermittent de leur vote.

Ce clivage générationnel tend aujourd’hui à se généraliser à toutes les élections : au premier tour présidentiel de 2022, l’abstention a été de 42 % chez les 18-24 ans, seulement de 24 % chez les 70 ans et plus ; et au premier tour législatif qui a suivi, très abstentionniste, l’abstention est montée à 69 % chez les 18-24 ans pour seulement 31 % chez les 70 ans et plus.

Aux élections européennes de 2024, les différences d’abstention selon les positionnements sociaux sont faibles comparativement au clivage générationnel, alors qu’elles étaient plus sensibles jusqu’en 2014. En 2024, l’abstention était de 52 % chez les cadres, de 56 % chez les ouvriers et de 58 % chez les employés.

Le niveau de diplôme est aussi devenu très peu discriminant depuis 2019. Par contre les niveaux de revenus gardent un certain impact : l’abstention était de 57 % chez les plus faibles revenus mais seulement de 46 % chez les personnes gagnant plus de 2 000 euros mensuels.

Si on prend en compte à la fois l’âge et la position sociale, on observe des différences très importantes de participation, minimale chez les jeunes défavorisés et maximale chez les personnes âgées fortement diplômées (au moins jusqu’à 80 ans, âge où commence leur désocialisation).

Quelle participation aux élections législatives à venir ?

À considérer le niveau de l’abstention législative sous la Ve République (graphique ci-dessous), on voit que lorsque ces scrutins sont organisés juste après une élection présidentielle (1981, 1988, et toutes les législatives depuis 2002, suite à la réforme sur le quinquennat), ils sont peu mobilisateurs.

Évolution du taux d’abstention aux élections législatives de 1958 à 2022.
Fourni par l’auteur

La tendance abstentionniste est même fortement croissante depuis 2002, comme si les électeurs avaient progressivement pris conscience de l’affaiblissement des enjeux législatifs. Certains ont l’impression que le choix essentiel a été fait à la présidentielle et que les législatives sont donc sans enjeu important ; d’autres, qui ont soutenu des candidats battus à la présidentielle, sont simplement découragés par les résultats ; d’autres encore, bien que peu convaincus par le nouveau président, pensent qu’il doit pouvoir mettre en œuvre son programme et préfèrent s’abstenir plutôt que de voter pour leur propre camp.

Si on ajoute que l’Assemblée nationale et les hommes et femmes politiques ont une très mauvaise image, il est clair que le vote est de plus en plus intermittent. Aux législatives de 2017 et 2022, l’abstention a atteint des sommets, plus d’un électeur sur deux ayant boudé les urnes.

En 2024, les législatives vont avoir lieu presque à mi-mandat, comme en 1997. Elles ont donc beaucoup plus de sens puisqu’il est demandé au corps électoral de confirmer la majorité ou de voter pour une des deux principales oppositions ; et les enjeux sont dramatisés par les acteurs politiques : pour beaucoup, il faut avant tout faire barrage à l’extrême droite tandis que pour d’autres il faut surtout imposer une cohabitation au président, soit avec la droite radicale, soit avec le Nouveau Front populaire. On peut donc s’attendre a une participation en forte hausse par rapport à 2022.

L’IFOP publie chaque jour un sondage pour estimer l’abstention et les intentions de vote. Selon celui du 18-21 juin, l’abstention s’élèverait à 36 %, pas beaucoup plus forte qu’en 1997, lors des législatives convoquées après la dissolution de Jacques Chirac (32 %). Par contre, par rapport aux législatives de 2022, cela représenterait une très forte baisse (d’environ 16,5 points). Les principaux instituts donnent une estimation très semblable du niveau d’abstention (entre 35 et 38 %). Celui-ci peut bien sûr évoluer jusqu’au dernier jour, en principe plutôt dans le sens d’une mobilisation supplémentaire.

Le fort désir de voter se manifeste aussi dans le nombre très important de procurations qui ont été déjà données pour ce scrutin.

On devrait donc enregistrer la plus forte participation électorale pour des législatives depuis 2002.

Les écarts de mobilisation par générations sont annoncés conséquents mais plutôt moindres qu’aux européennes : de 47 % chez les 18-24 ans à 27 % chez les 65 ans et plus (soit 20 points d’écart, contre 24 aux européennes). Par contre, les différences selon la position sociale seraient un peu plus marquées que le 9 juin avec 35 % d’abstentions chez les cadres et professions intermédiaires mais 45 % chez les ouvriers ; selon les diplômes, on passerait de 35 % d’abstention chez ceux qui ont une licence ou plus à 41 % chez ceux qui n’ont qu’un CEP ou BEPC. Selon le niveau de revenu, l’abstention irait de 28 % chez les plus riches à 47 % chez les plus pauvres.

A qui profitera ce surcroît de mobilisation ?

Dans les sondages, on ne discerne pas vraiment de tendance politique ayant de plus fortes réserves de voix chez les abstentionnistes des européennes. Mais, évidemment, certains électeurs des européennes vont un peu bouger dans leur vote. Au total, les rapports de force entre les trois blocs du 9 juin : gauche, majorité présidentielle et droite radicale devraient assez peu évoluer. Environ 80 % des électeurs se disent déjà sûrs de leur choix. Le RN qui obtenait 31,5 % des suffrages aux européennes est annoncé en progression autour de 36 %, le Nouveau front populaire serait stable autour de 30 % (il faisait 31,6 % aux européennes) tandis que la majorité présidentielle serait en hausse autour de 20 % (14,6 aux européennes) (source : Ipsos).

Avec une forte participation, il devrait y avoir de nombreuses triangulaires au second tour, puisqu’il faut que les candidats obtiennent 12,5 % des électeurs inscrits au premier tour pour pouvoir se maintenir au second. Si la participation est de 65 %, le seuil pour se qualifier est d’environ 18 % des suffrages exprimés. Il pourrait y avoir plus d’une centaine de triangulaires, sauf si des accords de désistement sont organisés pour faire barrage au RN.

En principe, le mode de scrutin majoritaire à deux tours donne une prime importante en sièges à la tendance arrivée nationalement en tête. Mais il est fort possible que la nouvelle chambre n’ait pas plus de majorité absolue que la précédente !

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