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un casting de notables pour une mandature de crise

Réunis en sommet européen les 27 et 28 juin, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union viennent de sélectionner trois personnalités pour les plus hautes fonctions exécutives des institutions européennes. Il s’agit de l’Allemande Ursula von der Leyen, sortante, pour la présidence de la Commission européenne ; du Portugais Antonio Costa, ancien premier ministre de son pays (2015-2024), pour la présidence du Conseil européen ; et de l’Estonienne Kaja Kallas, première ministre d’Estonie (2021-2024), pour le poste de Haut Représentant de l’UE.

Le processus de nomination est loin d’être achevé car le Parlement européen, nouvellement élu, doit désormais approuver deux de ces propositions. Toutefois, cette sélection donne la tonalité des rapports de force politiques à Bruxelles et Strasbourg au lendemain des élections européennes du 9 juin dernier : on constate que la vague radicale, très importante dans certains États membres, a une influence limitée à l’échelon continental. Malgré la percée du RN et le succès de Fratelli d’Italia dans deux pays fondateurs de la construction européennes, les partis politiques européens ont choisi des profils très classiques. Comme si ces « notables continentaux » allaient faire oublier les vagues populistes.

Un casting à l’image de la hiérarchie des partis… ou presque

Si ces élections ont changé le paysage politique en Italie, en Allemagne et surtout en France en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale, elles ne modifient pas substantiellement les grands équilibres partisans au sein des institutions européennes. Nous l’avions souligné dans notre analyse des résultats des élections au Parlement européen. La sélection provisoire des personnalités pour les « top jobs » reflète la hiérarchie entre les partis du Parlement européen, où le séisme RN a encore des répliques circonscrites.

Cette sélection est issue d’une négociation tripartite entre le Parti populaire européen (conservateur) représenté par les premiers ministres grec et polonais Kyriakos Mitsotakis et Donald Tusk, le Parti socialiste européen (social-démocrate) représenté par leurs homologues espagnol et allemand Pedro Sanchez et Olaf Scholz et les libéraux-progressistes emmenés par Emmanuel Macron et le premier ministre néerlandais (sur le départ) Mark Rutte.

La composition du groupe de négociateurs, les noms proposés au sommet européen et les conclusions de celui-ci reflètent d’abord le succès incontestable du PPE (189 sièges soit un gain de 7 sièges par rapport au Parlement précédent), qui soutenait la reconduction d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission. Ce casting illustre aussi la deuxième place du PSE (136 sièges, soit une perte de 18 sièges), qui appuyait la candidature d’Antonio Costa à un des « top jobs » au niveau européen. Le casting montre aussi l’influence réelle des libéraux-progressistes malgré la perte de 34 sièges (75 dans la nouvelle mandature) et leur quatrième place derrière le groupe des Conservateurs et Réformistes européens (droite radicale, 83, en augmentation de 21 sièges).

En un mot, cette sélection souligne à quel point les partis politiques historiques de la construction européenne maintiennent leurs positions continentales malgré les succès de l’extrême droite en France, en Autriche, en Espagne ou encore en Belgique.

La composition du groupe de négociateurs et l’affiliation politique des nominés a très logiquement suscité l’ire des dirigeants nationalistes et eurosceptique : Viktor Orban et Giorgia Meloni ont ainsi vivement critiqué leur exclusion du groupe de négociation. Celui-ci ne reflète en effet par le poids du CRE, où siège Fratelli d’Italia, le parti de Meloni (le Fidesz d’Orban, lui, est officiellement non aligné). Autrement dit, les partis de droite extrême, radicale ou nationaliste ne sont pas parvenus à changer de statut politique durant cette phase critique : s’ils ne sont plus des parias, ils sont encore des outsiders. Leurs divisions multiples et leur incapacité (pour le moment) à se constituer en force institutionnelle ne leur ont pas permis de tirer parti de leur progression.

Des visages bien connus

Les personnalités et les parcours des personnes sélectionnées accentuent cette tendance de prime aux notables européens. En effet, Ursula von der Leyen est une figure politique très installée, à la fois du fait de son premier mandat à la Commission, du fait du soutien de la CDU allemande (parti historiquement et quantitativement essentiel à la construction européenne) mais également en raison de ses origines familiales : son père, Ernst Albrecht, a notamment été fonctionnaire européen avant d’entamer une carrière électorale. En elle, c’est la longue tradition européenne de la droite allemande qui se perpétue.

Le socialiste Antonio Costa est lui aussi un « vieux routier » de la politique européenne : sa primature de près d’une décennie à la tête du Portugal a été marquée par le redressement spectaculaire des finances publiques, grâce au soutien et sous la pression des institutions européennes. Il avait également assuré la présidence tournante de l’UE en 2021, période pendant laquelle il avait activement travaillé avec Ursula von der Leyen sur la vaccination Covid. Il s’agit d’un socialiste très « respectable » aux yeux des droites européennes.

Enfin, Kaja Kallas est une « notable » de la vie politique européenne : non seulement elle a été un des soutiens les plus visibles à l’Ukraine à Bruxelles mais elle est en outre la fille de Siim Kallas, premier ministre d’Estonie (2002-2003) et vice-président et Commissaire européen de 2004 à 2014 sous Juan Manuel Barroso. Sa posture très otanienne et son image très moderne en font aussi un « notable » européen.

Pour les partis européens traditionnels, ces trois personnalités politiques expérimentées et bien connues des institutions de l’Union sont un gage de stabilité pour affronter une mandature où les incertitudes et les défis s’accumulent.

De nombreux défis à venir

Face aux défis écologiques (climat), économiques (souveraineté technologique) et géopolitiques (guerre en Ukraine et au Moyen-Orient), dans un contexte de forte polarisation politique, l’équipe dirigeante européenne jouera un rôle crucial dans la trajectoire future de l’UE.

Dans leur organisation interne, les trois dirigeants pressentis auront à cœur de montrer davantage de cohésion que l’équipe sortante, où les désaccords patents entre Ursula von der Leyen et Charles Michel avaient créé les conditions d’un environnement tendu, compétitif et dysfonctionnel. Cet équilibre, qui doit en outre tenir compte de règles non écrites, incluant des critères géographiques, politiques et de genre, est le prérequis d’une action efficace. Par effet de cascade, il s’applique également pour le choix des membres de la Commission européenne et la définition de leurs portefeuilles.

Dans son interaction avec l’écosystème bruxellois, cette équipe devrait également composer avec la formation des groupes parlementaires, qui vont façonner l’agenda législatif et le paysage politique de l’UE. De ce point de vue, il conviendra d’observer le défi majeur aux factions pro-européennes traditionnelles que posera nécessairement l’influence croissante des partis populistes et nationalistes au Parlement européen, comme le RN en France. On peut anticiper sans difficulté des remises en question du Pacte vert (Green deal) et de la politique migratoire ou des discussions tendues en ce qui concerne l’élaboration du programme budgétaire pluriannuel. De plus, la présidence tournante du Conseil de l’UE sera assurée par la Hongrie de Viktor Orban, un pays souvent en désaccord avec les institutions de l’UE sur des questions telles que l’État de droit et la migration.

Par ailleurs, plus largement, l’agenda des autorités européennes pourrait être largement bouleversé par les résultats des élections américaines et françaises. Un retour de Donald Trump à la Maison Blanche ne signifierait certes pas un arrêt des relations transatlantiques, mais la vulnérabilité des Européens ne s’en trouverait que renforcée ; le tropisme américain d’Ursula von der Leyen serait objectivement fragilisé. Il en est de même avec les élections législatives anticipées en France, dont la position sur l’Ukraine pourrait être infléchie, à rebours d’une nomination au poste de Haute Représentante de Kaja Kallas, porteuse d’une position de grande fermeté face à la Russie.

De toute évidence, les postes clés des institutions européennes seront déterminants pour guider l’UE à travers un paysage complexe de défis politiques, économiques et sociaux. L’alliance d’une conservatrice allemande (au Nord), d’un socialiste espagnol (au Sud) et d’une libérale estonienne (à l’Est) garantit une représentativité bienvenue et nécessaire, mais elle est insuffisante pour garantir en soi à l’Europe un cap pour les prochaines années. Le passage par le Parlement n’en est que plus légitime et crucial à suivre, d’autant que l’échec (peu probable à ce stade) lors de la mise au vote d’un des trois profils entraînerait quasi automatiquement l’échec des deux autres, puisqu’il faudrait trouver de nouveaux équilibres.

Incarner l’Europe

Ces nominations permettent de revisiter la question récurrente et essentielle de l’incarnation du continent sur la scène politique intérieur et sur l’échiquier international. Les détenteurs de ces trois « top jobs » sont très souvent les visages de l’Union : ils incarnent l’Europe pour les citoyens des États membres et pour les dirigeants non européens.

Ce casting est-il réussi ? Sur le plan politique intérieur, il présente une garantie de continuité et de stabilité : ces notables ont été choisis pour rassurer les citoyens européens les plus europhiles face à des vagues nationalistes très puissantes ; et la personnalité de Costa est un pari d’apaisement contre les exaspérations nationalistes à l’œuvre dans de nombreux pays européens.

À l’extérieur, ils apparaissent comme des figures très fortes : la continuité à la tête de la Commission est un atout essentiel pour que l’Union puisse peser face à la Russie, à la Chine et aux États-Unis. Quant au profil de Kaja Kallas, il envoie un signal fort à Moscou : l’Union ne se prépare ni à démanteler ses sanctions ni à réduire son soutien à l’Ukraine.

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