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Israël/États-Unis : une alliance fragile ?

Le contexte post–7 octobre a eu pour effet de relancer le débat sur les implications de l’approche résolument sécuritaire du conflit israélo-palestinien adoptée par les États-Unis depuis l’arrivée de George W. Bush au pouvoir en 2000 et surtout depuis le 11 septembre 2001. Bien que le « soutien sans faille à Israël », selon les propos de Joe Biden, demeure la pierre angulaire de la posture américaine au Moyen-Orient, les néoréalistes s’interrogent de plus en plus sur ses répercussions à moyen et long terme pour les intérêts stratégiques américains.

Un engagement inébranlable aux côtés d’Israël

À l’heure actuelle, les États-Unis gèrent parallèlement, à Gaza, en Ukraine et à Taïwan, plusieurs conflits de configuration différente et d’intensité variable, mais considérés comme étant liés. La représentation qui sous-tend cette posture peut être résumée par l’intellectuel américain Francis Fukuyama dans un entretien au journal Le Point le 13 juin 2024 :

« Depuis environ quinze ans, la démocratie recule partout dans le monde. Les régimes autoritaires au pouvoir en Russie et en Chine s’affirment au-delà de leurs frontières […]. Nous vivons un moment très dangereux […]. La démocratie ne s’impose pas automatiquement. Il faut croire en elle. Il faut être prêt à se battre pour la démocratie. »

Ainsi, la perception dominante serait celle d’une confrontation à l’échelle globale menée sur plusieurs fronts opposant les puissances occidentales, présentées comme les piliers du modèle démocratique, à un ensemble de forces coalisées perçues comme les fossoyeurs de l’ordre international libéral. Cette représentation apparaît cependant aujourd’hui comme un obstacle à la hiérarchisation les priorités stratégiques aux États-Unis même, Washington devant maintenir un engagement majeur sur plusieurs dossiers à la fois.

En avril dernier, les États-Unis ont approuvé une aide de 95 milliards de dollars, répartie ainsi : 60 milliards pour l’Ukraine, et 35 milliards pour Israël et Taïwan. Mais le contexte – une rivalité toujours plus prononcée avec la Russie, ce qui entraîne le risque d’un élargissement de la confrontation, le défi systémique que représente aujourd’hui la Chine – soulève la question de la soutenabilité à long terme de l’engagement militaire américain au Moyen-Orient.

L’abandon de l’approche sécuritaire du conflit israélo-palestinien (une approche qui, depuis vingt ans, a hypothéqué toute perspective de règlement politique) sous l’effet de facteurs majeurs comme l’évolution de l’environnement géostratégique ou celle du rapport de force interne impliquerait nécessairement une reconfiguration de l’alliance entre les États-Unis et Israël.

Jusqu’ici, la position américaine s’est traduite par un soutien inconditionnel à Israël dans la guerre menée depuis huit mois à Gaza, ce qui assombrit la perspective d’une sortie du conflit.

Dès le 7 octobre, Washington a réagi de manière extraordinairement rapide pour exprimer son soutien à son allié. Comme le rappellent Robert D. Blackwill et Richard Fontaine dans leur livre Lost Decade, alors que les porte-avions américains n’avaient pas opéré au Moyen-Orient en 2021 ou 2022, « après l’attaque du Hamas contre Israël, les tirs de roquettes du Hezbollah dans le nord et la multiplication des attaques par procuration de l’Iran contre les installations américaines dans la région, Washington a déployé deux groupes d’attaque de porte-avions au Moyen-Orient à la fin 2023 ».

Un développement récent permet d’apprécier l’importance de la contribution américaine à l’effort de guerre israélien. En effet, les États-Unis, qui pilotent le dispositif défensif régional pour protéger Israël des attaques de missiles, fournissent également des renseignements aériens qu’Israël n’est pas en mesure de collecter seul. Par exemple, ce sont des informations fournies par Le Pentagone et la CIA qui ont permis à Tel-Aviv de localiser et de récupérer les quatre otages détenus par le Hamas.

Les appels des néoréalistes

L’engagement des États-Unis est apparu, aux yeux de certains observateurs, comme une manifestation du caractère organique de l’alliance américano-israélienne – qui va au-delà de la simple mise en œuvre des garanties de sécurité – comme si les deux pays constituaient une seule et même entité stratégique. Or cette posture est l’objet de vives critiques de la part des néoréalistes qui récusent l’idée d’une convergence entre intérêts sécuritaires israéliens et intérêts stratégiques américains.

Dans une contribution publiée le 24 mai dernier dans la prestigieuse revue Foreign Affairs, Stephen Walt, professeur de relations internationales à l’université de Harvard et l’une des figures de proue du néoréalisme, affirme que :

« Les réalistes s’opposent aux actions d’Israël (et à la complicité des États-Unis) parce que cette combinaison sape la position mondiale de l’Amérique […]. La guerre à Gaza a clairement montré que l’engagement “moral” des États-Unis n’a plus aucun sens […]. Les réalistes s’opposent à l’action d’Israël parce qu’elle n’apporte aux États-Unis aucun avantage stratégique […] et le soutien inconditionnel à Israël n’améliore pas la sécurité des Américains aujourd’hui. »

Selon Walt, cette situation profite aujourd’hui à la Russie et à la Chine et serait donc préjudiciable à Washington, qui se détourne de ses priorités stratégiques. De son côté, John Mersheimer, spécialiste américain des relations internationales et autre chef de file du courant néoréaliste, qui a toujours appelé les Américains à agir en « honnête médiateur » pour résoudre le conflit israélo-palestinien, a lui aussi récemment exprimé une vision néoréaliste de l’alliance entre Washington et Tel-Aviv. Il estime qu’après avoir soutenu l’option militaire israélienne, les États-Unis doivent reconsidérer leur position vis-à-vis de leur allié. Selon lui, Israël est « coincé à Gaza » parce qu’il ne peut atteindre ses objectifs militaires et qu’il ne recherche aucun règlement durable de la question palestinienne. La posture actuelle de Washington risque d’entraîner à terme des conséquences sur la protection des intérêts américains et sur les relations avec leurs alliés régionaux.

Force est de constater que les conceptions défendues par Mersheimer et Walt, bien que très médiatisées, ont peu de répercussions sur le positionnement politique de l’administration Biden – un positionnement aujourd’hui largement discrédité en raison du défaut de cohérence entre le discours et les actes. Après avoir réitéré à plusieurs reprises son engagement « sans faille » envers Israël, Biden a menacé de suspendre la livraison de munitions en cas d’invasion de Rafah), une annonce non suivie d’effets.

Par ailleurs, le président américain a réaffirmé son soutien à la solution à deux États, alors même que tous les appels de la communauté internationale au cessez-le-feu sont restés lettre morte en raison même du positionnement de Washington. Si à l’heure actuelle le « soutien sans faille » fait consensus autant chez les Démocrates (à l’exception de l’aile gauche radicale du parti, très minoritaire) que chez les Républicains, deux évolutions structurelles pourraient remettre en cause la nature de l’alliance avec Israël.

Ce qui pourrait changer la donne

Premièrement, l’évolution de l’opinion publique est une variable qui pèse dans les calculs américains. Or si comme le rappelle un article récent de Foreign Policy, Israël continue à bénéficier d’un large appui de l’opinion publique américaine, « les perspectives à long terme pour Israël sont moins certaines. Parmi les Américains âgés de 18 à 29 ans, le soutien à Israël dans la guerre est beaucoup plus tiède. Ils sont plus nombreux à avoir une opinion plus favorable des Palestiniens en tant que peuple que des Israéliens. Si les jeunes conservent ces opinions à mesure qu’ils grandissent et accèdent à des postes de pouvoir et d’influence (et en supposant que la dynamique israélo-palestinienne reste inchangée), Israël pourrait connaître des temps difficiles ».

Deuxièmement, la radicalisation de la société israélienne et la polarisation de l’échiquier politique entre une droite dure et une droite extrême (les forces centristes ayant clairement démontré qu’elles étaient incapables de mettre Nétanyahou en difficulté) enterrent durablement l’option d’un règlement politique. Or cette considération risque de peser de manière croissante dans les calculs américains.

En effet, si comme le rappelle l’historien israélien Tom Seguev dans un article récent intitulé « Israel’s forever war », les gouvernements israéliens successifs se sont toujours inscrits dans une logique de gestion du conflit et non de règlement, et si cette approche a été soutenue par Washington, aujourd’hui les cartes sont rebattues.

L’attaque du 7 octobre a démontré l’inanité de cette approche et l’impossibilité de stabiliser le Moyen-Orient sans règlement durable de la question palestinienne. Comme le résume avec clairvoyance le politologue libanais Ghassan Salamé dans son dernier ouvrage, « la braise est loin de devoir s’éteindre, tant que les courants expansionnistes (en ascendance constante depuis le milieu des années 1990) au sein d’Israël n’auront pas été matés et tant que les Palestiniens n’auront pas obtenu leurs droits politiques. En attendant le jour où une telle issue sera enfin trouvée, il serait naïf de penser que ce conflit pourrait s’arrêter ».

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