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Pourquoi le projet du RN en matière de politique étrangère est-il si peu débattu ?

Le projet électoral du Rassemblement national (RN), en position de force aux élections législatives anticipées de 2024, reste marqué par des positions autoritaires et nationalistes qui soulèvent de nombreuses controverses et inquiètent quant aux possibles conséquences de l’arrivée au pouvoir de ce parti d’extrême droite.

Cependant, au cours de cet entre-deux tours, il est surprenant de constater la relative absence de débat autour des positions du parti dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité.

Comment interpréter ce vide relatif ? Il semble moins résulter d’un consensus réel entre le RN et les autres partis politiques dans le domaine de la politique étrangère que de stratégies électorales concomitantes. Le RN cherche actuellement à se donner une image de parti capable de gouverner afin de convaincre les électeurs de la droite conservatrice et libérale qu’aucun changement radical ne sera mis en œuvre en matière de politique étrangère. De son côté, le camp présidentiel se présente comme garant d’une politique pro-européenne et libérale.

La politique étrangère française, un domaine consensuel ?

L’une des idées reçues sur la politique étrangère française s’appuie sur la présomption de son caractère dépolitisé et consensuel. Selon la coutume constitutionnelle, elle ferait partie du « domaine réservé » de la présidence et serait placée en dehors des jeux électoraux. C’est ce qui aurait permis une grande continuité dans les politiques menées par les différents présidents, de Charles de Gaulle jusqu’à Emmanuel Macron en passant par François Mitterrand.

Dans les années 1970, le ralliement du Parti socialiste et du Parti communiste à la doctrine de la « force de frappe » établie par Charles de Gaulle aurait permis d’établir un « consensus nucléaire » qui transcenderait les clivages idéologiques et sociaux de la vie politique française. Cette doctrine donne au président l’autorité d’autoriser le recours aux armes nucléaires en cas de menace directe contre les intérêts vitaux de la France.

Les changements opérés par rapport aux lignes politiques du président de Gaulle, avant tout le retour dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009 et le soutien à une supranationalisation lente au sein de l’Union européenne, autrement dit un partage sélectif et progressif de compétences politiques au niveau européen, sont interprétés plutôt comme un résultat des changements structurels – la fin de la guerre froide et la perte de puissance relative de la France dans le système international – que comme une conséquence de l’évolution des rapports de force électoraux.

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Cependant, même une analyse superficielle des débats politiques en France depuis 1990 révèle que les enjeux de la politique étrangère sont loin d’être entièrement dépolitisés.

Les référendums sur les traités européens ont mobilisé et divisé les différents camps politiques, facilitant ainsi en 2005 le rejet du projet de traité constitutionnel pour l’Europe.

Marine Le Pen et le premier ministre hongrois Viktor Orban à Budapest, Hongrie, le 26 octobre 2021.
Attila Kisbenedek/AFP

Les prises de position concernant les relations avec les anciennes colonies françaises, notamment avec l’Algérie, provoquent régulièrement des controverses.

Enfin, un effet secondaire des décisions présidentielles relatives à la participation à des interventions militaires a souvent été un changement dans leur cote de popularité électorale, par exemple lors du rejet d’une participation française à l’invasion états-unienne de l’Irak en 2003 mais aussi après la décision du président Hollande de « sauver » le Mali d’une offensive djihadiste en 2013.

Des prises de position mouvantes

Dans le passé, le FN/RN a souvent participé à cette politisation de la politique étrangère pour mobiliser son électorat, notamment sur les questions européennes et transatlantiques. Dans les années 1980, le parti se présentait ainsi comme fervent défenseur d’une fédéralisation de l’espace politique européen comme rempart contre le marxisme.

Cette position s’est transformée en opposition contre l’intégration européenne dans les années 1990, à une époque où la plupart des autres partis soutenaient le Traité de Maastricht et l’introduction de la monnaie unique.

Durant les années 2000, le parti se positionnait encore plus comme défenseur d’une conception de la souveraineté nationale en soutenant que les capacités d’action nationales devraient primer sur la coopération bilatérale et multilatérale (à travers les organisations internationales). Cette conception a été symbolisée en 2012 par la proposition d’un « ministère des Souverainetés »).

Prônant une sortie de la monnaie européenne et de l’espace Schengen, mais aussi une potentielle sortie de l’énergie nucléaire qui aurait provoqué un coup d’arrêt à l’ambition de développer des capacités de dissuasion nucléaire françaises indépendantes, le FN cherchait ainsi à faire appel à la fois au nationalisme suprématiste de l’extrême droite « traditionnelle », et aux idées souverainistes de certains représentants gaullistes opposés au Traité de Maastricht.

Au lieu de la continuité de l’alliance transatlantique, le Front national se prononçait en faveur d’un rapprochement avec la Russie. De plus, encore en 2009, Jean-Marie Le Pen était l’un des plus fervents critiques de la politique israélienne envers les territoires palestiniens, jugeant que la bande de Gaza était « un véritable ghetto, un camp de concentration ».

Vingt ans plus tard, la plupart de ces positionnements se sont effacés dans les discours du programme et des leaders du RN.

Dans la période parlementaire qui se termine avec les élections anticipées de 2024, le groupe du RN n’a déposé qu’une seule proposition de loi, celle d’une constitutionnalisation de l’armé nucléaire, mesure largement symbolique et peu discutée dans les médias.




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Ni la sortie de l’euro, ni celle de l’espace Schengen, ni même celle du commandement intégré de l’OTAN ne sont plus revendiquées. Le RN condamne publiquement l’invasion russe de l’Ukraine et approuve les mesures de soutien à Kiev, rejetant seulement l’envoi éventuel de troupes françaises sur le sol ukrainien et de missiles de longue portée.

Enfin, dans le conflit à Gaza, Marine Le Pen a positionné son parti en soutien inconditionnel au gouvernement d’Israël, argumentant que « la lutte contre l’hydre islamiste, que ce soit en Israël ou en France, est un enjeu majeur pour notre époque ».

Marine Le Pen : « Il faut permettre à Israël d’éradiquer le Hamas ».

Le jeu du camp macroniste

Ces changements de position peuvent être perçus comme une conséquence de la politisation de la politique étrangère par Emmanuel Macron. En effet, le camp présidentiel se focalise justement sur une stratégie de communication électorale mettant l’accent sur l’importance de préserver la politique étrangère française contre la montée « des extrêmes », identifiée à la fois à gauche avec La France insoumise et à droite avec le Rassemblement national.

Plus que la nature raciste et autoritaire du parti, la communication du camp présidentiel met en avant les dangers que ferait peser l’accession du RN au pouvoir sur la stabilité économique et l’influence politique de la France au sein de l’UE.

L’objectif du Rassemblement national est désormais l’unification de deux électorats traditionnellement séparés par le « cordon sanitaire », à savoir celui des soutiens à l’extrême droite et celui de la droite traditionnelle, toujours en faveur d’une politique étrangère pro-occidentale et pro-européenne, mais de plus en plus séduite par le RN par les questions « identitaires ».

Gagner les voix de ce dernier électorat, généralement à l’aise avec les principes du libéralisme commercial et des traités européens, semble ainsi passer par l’effacement des positions radicales en matière de politique étrangère, notamment dans les domaines européen et transatlantique.

Le seul « survivant » des positions radicales du RN est une orientation déjà défendue par d’autres partis de la droite : la volonté de refonder les relations avec l’Algérie en mettant l’accent sur la fin de la « repentance » et la diminution de l’immigration.

Face au constat du caractère opportuniste de l’évolution des positions du FN/RN en matière de politique étrangère, il semble difficile de prédire ses orientations futures. En cas d’accession au pouvoir, on peut s’attendre à ce que son discours superficiellement souverainiste laisse la place à des coalitions, tant que celles-ci permettent de stabiliser sa mainmise politique et médiatique sur la société. Les dirigeants du RN suivraient ainsi les exemples déjà pratiqués en Turquie, en Hongrie ou plus récemment en Italie par le gouvernement Meloni.

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