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Pourquoi présenter tous les électeurs du Rassemblement national comme des « racistes » peut être contre-productif

Avec le Rassemblement national (RN) en position de force pour le second tour des législatives anticipées, il est tentant pour les autres formations politiques de conspuer ses électeurs en les présentant comme une vaste assemblée de « racistes. »

Cette rhétorique a fréquemment été utilisée au cours de ces dernières semaines, de nombreux Français se lamentant sur les réseaux sociaux de devoir faire société avec « 12 millions de racistes », ou utilisant d’autres insultes dans ce genre.

Les idées du RN sont probablement dangereuses pour la France à plus d’un titre. En la normalisant dans les discours et les esprits et en la faisant progresser par la loi, le RN entérine la xénophobie. L’accession au pouvoir du RN présente également un risque environnemental majeur avec, s’il applique son programme, la réduction de l’investissement dans les énergies renouvelables dont la France, comme le reste du monde, a impérativement besoin pour combattre le changement climatique.

Je voudrais dans cet article prendre appui sur les sciences sociales et la psychologie du conflit pour rappeler qu’une rhétorique consistant à diaboliser les personnes soutenant le RN en les assimilant à un ramassis homogène de « racistes » implique un risque. Celui d’aggraver le sentiment d’être méprisés et rejetés par les élites et les classes éduquées, qui domine déjà une grande partie des électeurs RN, et donc d’amplifier les divisions et les tensions sociales déjà fortes en France.




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Le succès du RN n’est pas réductible au « racisme » pur

Tant au sein du parti que parmi ses électeurs, le RN comprend un certain nombre de personnes qui pensent littéralement que la couleur de peau ou les ancêtres d’un individu peuvent permettre d’en établir la valeur morale : il s’agit d’authentiques racistes, et ils sont de plus en plus nombreux à l’assumer.

Ceci étant posé, le succès du RN est aussi ancré dans des peurs de la hausse de la criminalité, de l’immigration, de l’incivilité, du rejet de la culture laïque française, certes disproportionnées et amplifiées par certains médias, mais qui ne visent pas tant l’ethnicité des populations étrangères et immigrées que les conséquences de leur socialisation et de leur environnement socio-économique : leurs attitudes face à l’école, leur refus (perçu) de s’intégrer, leurs idées religieuses, etc.

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Le succès du RN est aussi fortement animé par des sentiments d’appauvrissement nourris par le déclin du pouvoir d’achat, et la perception de déclassement chez des classes moyennes, populaires, ainsi que chez les personnes peu diplômées. Elles se jugent délaissées par les gouvernements successifs, les élites urbaines, et le modèle économique dominant (libéralisme, compétition internationale, etc.). Et il y a aussi la séduction exercée par un parti non encore parvenu aux affaires, « qu’on n’a pas encore essayé ». Ces sentiments sont pour l’essentiel distincts du racisme.




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L’accusation collective de racisme pourrait amplifier le sentiment de rejet

Du point de vue de la gauche et du centre, conspuer les électeurs RN en ramenant la diversité de leurs motivations à un principe unique, le pur préjugé raciste, peut poursuivre plusieurs buts, plus ou moins conscients.

Cela permet de laisser sortir colère et tristesse, ce qui peut soulager, et de signaler sa dévotion au « camp progressiste ». Le terme hautement moralisé négativement de « raciste » sert également à communiquer à la population indécise que la xénophobie du RN est considérée comme immorale, taboue, et qu’elle doit donc être rejetée en bloc.

Accuser de racisme sert alors de signal de dissuasion à destination d’audiences tentées de se rapprocher des idées xénophobes du RN. Chez ceux déjà disposés à s’opposer au RN, l’emploi de ce mot fortement chargé qu’est « raciste » a aussi des effets mobilisateurs potentiels, en raison du fait qu’il pointe une menace universelle et peut donc motiver l’action collective.

Le problème vient du fait que chez ceux qui ont déjà fait le pas de soutenir le RN, les assimiler à des racistes équivaut à leur retirer leur dignité, à leur jeter l’opprobre.

Ce type de parole démontre une fermeture communicationnelle, le refus d’une prise de perspective à leur endroit pour mieux comprendre leurs doléances. L’esprit humain a un besoin viscéral de dignité et d’appartenance à une communauté. Ce type de signal d’excommunication morale des électeurs RN risque donc de renforcer leur sentiment d’abandon et de mépris par les élites de gauche des grandes villes, les classes supérieures, et ceux s’affiliant au camp progressiste.

L’exclusion est un moteur du cynisme et de la radicalité politique

Les recherches sur la radicalisation et sur les conflits ethniques, religieux et politiques convergent sur un constat fondamental : c’est typiquement quand les individus se sentent humiliés et non-respectés qu’ils rallient des idéologies extrêmes et populistes, et soutiennent des leaders autoritaires, prêts à empiéter sur les normes de la démocratie représentative.

Lors du premier tour des élections lésgislatives anticipées le 30 juin, plus de 9 millions d’électeurs ont glissé un bulletin Rassemblement national dans l’urne.
Gaizka Iroz/AFP

À divers degrés de radicalité, les tentatives de récupérer du statut social et une estime de soi sont des motivations importantes des départs pour le djihad, de l’hostilité politique sur les réseaux , et de la circulation des fake news hostiles et de la mentalité complotiste.

Respecter l’autre pour ne pas l’exclure, et le persuader

L’expérience des professionnels de la persuasion et de la dépolarisation montrent que c’est le maintien de l’écoute et de la communication, la disposition à faire des concessions au point de vue d’en face, l’établissement d’un rapport égalitaire, qui permettent d’éviter la fermeture et le rejet. On ne parvient jamais à faire changer d’avis quelqu’un en l’insultant.

C’est plutôt en leur montrant du respect qu’on peut inciter les gens à reléguer leurs idées intolérantes au placard, sans perdre la face.

Les professionnels du débat constructif insistent sur l’importance de toujours laisser des « ponts en or » (golden bridges) aux interlocuteurs qu’on cherche à rallier, afin de les inciter à réviser leurs opinions sans se sentir humiliés.

Ces préceptes valent dans le contexte des discussions que l’on peut avoir au sein de la famille ou avec des inconnus rencontrés dans la rue. Mais ils valent également pour notre communication sur les réseaux sociaux (comme Facebook ou X), où nous ne contrôlons pas qui nous lit et où nos audiences peuvent être assez diverses politiquement et socialement.

Le phénomène de polarisation émotionnelle entre élites et électorat RN contre lequel j’essaie de mettre en garde a déjà été observé aux États-Unis, où l’animosité entre républicains et démocrates semble avoir été stimulée par la diabolisation mutuelle. Ne répétons pas les mêmes erreurs.

Loïc Delchard (au centre), candidat du Rassemblement national (RN) dans la 8ᵉ circonscription de Haute-Garonne, distribue des tracts sur le marché de Cazeres, près de Toulouse, dans le sud-ouest de la France, le 22 juin 2024
Loïc Delchard (au centre), candidat du Rassemblement national (RN) dans la 8ᵉ circonscription de Haute-Garonne, distribue des tracts sur le marché de Cazeres, près de Toulouse, dans le sud-ouest de la France, le 22 juin 2024.
Valentine Chapuis/AFP

Que le progrès du RN dans les urnes suscite de la peur, de la colère et de la tristesse aux personnes de gauche et du centre – et en particulier aux minorités racisées et sexuelles, ouvertement visées – est parfaitement compréhensible.

Il est possible de combattre les idées et les politiques du RN par le vote, la correction des perceptions exagérées de l’immigration et de son impact, le porte-à-porte, et l’action collective.

Mais il importe dans ce processus de montrer l’exemple, et de jouer avec plusieurs coups d’avance, en traitant les électeurs du RN avec respect.

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