« Ils ont carte blanche? » Le tribunal de Rennes s’est étonné mercredi de la liberté laissée par la hiérarchie de Saint-Cyr Coëtquidan aux élèves de deuxième année pour organiser un exercice de transmission des traditions, qui s’est avéré fatal à un élève-officier en 2012.
En octobre 2012, des élèves-officiers de 2e année, âgés entre 20 et 22 ans, organisent le « bahutage », temps fort de la scolarité, qui doit permettre de transmettre les traditions entre promotions de « Cyrards » et forger un esprit de corps.
Mais, au fil du procès, il apparaît que ni le commandant de bataillon, ni le directeur de formation des écoles ne sont au fait d’un « programme détaillé » ou n’étaient présents sur les lieux de la noyade. Et, aucun des deux, les seuls membres de la hiérarchie militaire poursuivis devant le tribunal correctionnel de Rennes, n’a eu de compte-rendu précis de l’activité en 2011.
« Il n’y a jamais de remontée de rien » à Saint-Cyr, ironise Me Camille Radot, avocat des parties civiles.
Pour Hervé Wallerand, ancien lieutenant-colonel et chargé des élèves de 2e année à l’époque des faits, le bahutage était « le jardin » de ces jeunes gens, sans véritable contrôle, en dépit des éléments de sécurité à respecter qui figurent sur un document cadre.
Selon M. Wallerand, qui travaille désormais dans les assurances, cet état de fait est dû à la volonté du haut commandement d’accorder une « autonomie » accrue pour les élèves qui figure dans un « livre de marche » de 2007.
Mais, « en aucun cas, l’exercice de transmission des traditions, c’est une nage commando », s’est-il toutefois défendu, affirmant s’être senti « trahi » par ses élèves, leur reconnaissant un « statut exorbitant » et qui dit avoir voulu « réformer ce système ».
Selon le président du tribunal, alors que les prévenus ont évoqué de nombreuses autres entorses au règlement comme d’escalader un château-d’eau, il semble bien que ce drame « était peut-être écrit…Un jour ou l’autre ».
– « Esprit guerrier » –
Jallal Hami, qui avait étudié cinq ans à Sciences-Po avant d’intégrer la prestigieuse école formant les futurs haut-gradés des armées françaises, avait participé au bahutage: une nage en pleine nuit, dans un étang éclairé à 9 degrés, en rangers et treillis, au son des Walkyries avec des élèves déguisés en Allemands tirant à blanc à leur arrivée sur la berge. Une activité, au même endroit l’année précédente, et qui avait déjà été perçue comme « limite » côté sécurité selon le récit de plusieurs participants.
A la barre, le général Francis Chanson, en charge de la formation, a reconnu ne pas avoir été « assez vigilant » sur cette autonomie, « avec un contrôle qui n’était pas constant ». S’il avait eu connaissance de « signes » ou « d’alertes » l’année précédente, il l’aurait « modifié ou supprimé ».
« La courroie de transmission de ces informations n’est pas remontée », estime Me William Pineau, son conseil.
Le président Alain Kerhoas s’interroge sur cette latitude donnée à des jeunes d’organiser un tel exercice, s’apparentant à une « nage commando », pour près de 150 élèves fraîchement arrivés dans l’école. « Quand on laisse de l’autonomie à des jeunes, il y a quand même un risque de débordements? ».
« C’est la particularité de Coëtquidan: vous formez des jeunes qui vont être rapidement chefs », estime M. Chanson, qui dit avoir été nommé à Saint-Cyr pour « donner un nouvel esprit guerrier à l’époque » alors que l’école ressemblait parfois « à un campus ».
Plusieurs intervenants ont expliqué que la « transmission des traditions » a été largement réformée depuis la mort de l’élève-officier, la première survenue à Saint-Cyr Coëtquidan depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les plaidoiries des parties civiles devraient débuter mercredi après-midi, alors que le procès des sept militaires, tous poursuivis pour homicide involontaire, doit s’achever vendredi. Le jugement devrait être mis en délibéré.
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