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Concessions autoroutières : le président de l’ART recadre des universitaires à la dérive

Les concessions d’autoroutes et leur mode de fonctionnement spécifique suscitent encore et toujours des incompréhensions, même de la part d’universitaires spécialisés dans le droit. Le président de l’Autorité de régulation des transports (ART) a dû recadrer deux d’entre eux, dont les « travaux » semblent plus portés par l’envie de vendre coûte que coûte une argumentation hasardeuse que par la volonté de décrire la réalité.

Le 30 novembre 2020, dans La Semaine juridique, Jean-Baptiste Vila, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux, et Yann Wels, chargé d’enseignements à l’université d’Aix-Marseille, publient des articles intitulés « Convoquons les états généraux du Droit pour les concessions d’autoroutes ! » et « L’équilibre économique des autoroutes et la couverture du risque : une lapalissade juridique étatisée ». Des titres qui traduisent à l’évidence la recherche d’un « buzz médiatique » et en disent long aussi sur les présupposés de ces deux universitaires, qui n’hésitent pas à alimenter la boîte à idées reçues sur le sujet pourtant complexe et spécifique des concessions d’autoroutes.

Le premier de ces articles a fait l’objet de critiques étayées et pointues, comme celle de Noël Chahid-Nouraï, Jean-Luc Champy et Mikaël Ouaniche dans un texte publié le 21 décembre 2020 dans La semaine juridique et intitulé « Les concessions d’autoroutes : mythes et réalité ». C’est pour répondre au deuxième article que le président de l’Autorité de régulation des transports (ART), Bernard Roman, a pris la plume, déplorant « le ton condescendant, voire diffamant » de ce texte vis-à-vis de l’ART et résolu « à ne pas laisser sans réponse les graves erreurs d’analyse » contenues dans cet article. Celui-ci porte en effet sur deux points clés du rapport sur l’économie des concessions autoroutières publié par l’ART le 30 juillet dernier : la rentabilité des concessions d’autoroutes, d’une part, et la définition du « bon état » applicable aux infrastructures restituées en fin de concession, d’autre part. En spécialiste du sujet, le président de l’ART a relevé pas moins de sept points sur lesquels l’article de l’enseignant en droit présente des affirmations erronées.

Bernard Roman rappelle tout d’abord que, contrairement à l’auteur de l’article, l’ART a construit son rapport sur l’économie des concessions d’autoroutes selon « une approche ouverte et méthodique, fondée sur une expertise reconnue et une robustesse des analyses ». C’est le fruit d’« études approfondies, conduites en interne et en externe » et d’« un échange contradictoire avec le concédant (l’Etat) et les sociétés concessionnaires d’autoroutes ». Avec l’ambition « d’écarter les idées reçues et de formuler des préconisations argumentées pour éclairer le débat public ».

Suivre le taux de rentabilité interne sur toute la durée de la concession

Le président de l’Autorité souligne également que c’est loi qui a confié à l’ART la mission de suivre le taux de rentabilité interne (TRI) des concessions autoroutières… Alors que l’universitaire semble sous-entendre que l’Autorité se serait « auto-attribuée » cette mission et qu’en choisissant de fonder son analyse sur le TRI, elle aurait même commis des erreurs économiques que d’autres institutions ont su éviter. Or c’est l’article L. 122-9 du code de la voirie routière qui impose à l’ART d’« assurer un suivi annuel des taux de rentabilité interne de chaque concession ». Avec l’article 5 de la « loi Macron » de 2015, le législateur a précisément voulu répondre à la controverse née du rapport publié en 2014 par l’Autorité de la concurrence, qui portait une appréciation sur le secteur des autoroutes sans disposer d’information sur le TRI des sociétés. Le TRI a le mérite d’offrir une vision globale de la rentabilité, puisqu’il synthétise en une valeur toutes les informations pertinentes sur l’ensemble de la durée de la concession. « Si le TRI est un indicateur parfaitement orthodoxe pour juger de la rentabilité, son calcul requiert un temps d’analyse et une expertise sectorielle fine, souligne Bernard Roman. L’appréciation de la rentabilité à travers le TRI n’a rien d’innovant, mais son calcul exige une grande rigueur ». Et le travail de l’ART dans ce domaine a été salué par nombre de juristes et d’économistes de renom.

Le président de l’ART précise que l’Autorité suit la rentabilité des concessions sur toute leur durée, sans négliger aucun levier de rentabilité des concessions, comme semble en être convaincu l’auteur de l’article. Plutôt que de présenter un indicateur ne portant que sur une partie de la concession (par exemple, depuis 2002), l’ART répond à sa mission de suivre la rentabilité sur toute la durée de la concession. Elle s’est donc « attelée à reconstituer, à partir de données techniques, les flux financiers couvrant l’intégralité de la période contractuelle ».

Des données certifiées et contre-expertisées

Alors que les universitaires semblent douter de la qualité des données employées par l’ART pour réaliser ses chiffrages, Bernard Roman précise que l’ART s’est appuyée sur des données certifiées concernant le passé et a tenu compte du futur en utilisant les plans d’affaires des sociétés concessionnaires, qu’elle a contre-expertisés. « Etablir des TRI sans se référer à des flux financiers prévisionnels dans le cas de concessions arrivant à terme dans plusieurs années, voire dizaines d’années, ne pourrait conduire qu’à sous-estimer la rentabilité des concessions, ce qui n’était pas une option envisageable pour l’ART, précise son président. Chacun sait que les dernières années des concessions autoroutières correspondent aux tarifs les plus élevés et au trafic le plus important : ne pas en tenir compte aurait nécessairement conduit à une vision biaisée de la rentabilité des concessions ».

Poursuivant sa leçon d’économie sur les concessions d’autoroutes, le président de l’ART explique également que le TRI ne dépend pas de la structure financière choisie par les actionnaires des sociétés concessionnaires, contrairement à ce qu’affirme les auteurs de l’article. « Il ne fait pas de doute que les sociétés concessionnaires d’autoroutes sont fortement endettées, que la déductibilité fiscale des charges financières contribue à améliorer la rentabilité pour les actionnaires, tout comme la gestion active de la dette leur permet de bénéficier de conditions d’emprunt qui se sont améliorées au cours des dernières années. Néanmoins, l’amélioration des conditions d’emprunt ne peut pas être assimilée à une source de surprofit indu », écrit Bernard Roman. Car le contrat de concession transfère intégralement le risque de refinancement au concessionnaire. Un scénario opposé de remontée des taux, qui aurait aussi pu se produire, aurait pénalisé la rentabilité des actionnaires.

Le risque transféré au concessionnaire est bien réel

Contrairement aux assertions hasardeuses des universitaires, la croissance observée du trafic et des tarifs de péage ne démontre pas non plus que les sociétés concessionnaires ne supportent aucun risque. L’histoire, en particulier celle des années 1970, a montré que le risque de défaut n’était pas seulement une hypothèse théorique pour les sociétés d’autoroutes. À la suite des chocs pétroliers des années 1970, les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) ont en effet été confrontées à une baisse du trafic et à une hausse des coûts de construction et de financement. Et le système autoroutier français a dû être restructuré pour assurer la continuité du service public, l’Etat reprenant alors trois des quatre SCA privées pour éviter leur faillite. Il semble également contradictoire de « mettre de côté les événements imprévus et exceptionnels », comme le propose l’auteur de l’article, car ces aléas constituent justement une part importante du risque supporté par le concessionnaire… Comme l’illustre la baisse du trafic enregistrée en 2020 du fait de la crise sanitaire et du confinement.

De même, la simple observation de taux d’évolution positifs du trafic ne permet pas de conclure à l’absence de risque sur les recettes. « En théorie économique, le risque est défini comme la possibilité d’un écart entre les anticipations d’un acteur et la réalité, rappelle le président de l’ART. Une croissance potentiellement inférieure à la croissance anticipée doit donc être regardée comme un risque. Par ailleurs, affirmer qu’une « augmentation tarifaire constante » offrirait une couverture « quasi-assurantielle » et, entraînerait mécaniquement une baisse des taux d’emprunts pour les sociétés concessionnaires paraît pour le moins hâtif, sinon erroné : le faible coût de la dette observé n’a rien de spécifique au secteur autoroutier, mais reflète les conditions générales de marché ».

Définir le « bon état » de restitution de l’infrastructure

Enfin, Bernard Roman répond à l’universitaire sur la définition du « bon état » applicable aux infrastructures restituées en fin de concession. « Éluder la question du sens à donner à la notion de « bon état » pourrait conduire à compenser une deuxième fois des travaux relevant déjà d’obligations contractuelles des sociétés concessionnaires », fait remarquer Bernard Roman. Pour le président de l’ART, l’échéance, désormais proche, des concessions historiques appelle à se poser cette question. Et pour l’ART, il ne serait pas pertinent de définir le « bon état » à partir des seuls indicateurs d’exploitation introduits dans les contrats car ils ne sont pas exhaustifs. Ils n’ont pas non plus été conçus pour apprécier l’état des infrastructures, comme la structure des chaussées par exemple. Pour l’Autorité, l’absence de précision des contrats en cours signifie que le « bon état » doit être entendu de façon absolue, c’est-à-dire en définissant un référentiel technique couvrant l’ensemble des aspects de l’infrastructure à restituer.

Ainsi se conclut ce recadrage en règle, qui montre une nouvelle fois que les spécificités du secteur des autoroutes concédées exigent une véritable expertise, en particulier sur l’économie et la rentabilité des concessions. Des subtilités qui peuvent manifestement échapper à beaucoup, y compris à des professeurs de droit, surtout s’ils sont animés par la volonté de défendre une idée fixe, plutôt que d’apporter des éléments objectifs au débat public.

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One Comment

  1. Monsieur,

    Etant directement visé et diffamé par le présent article, je vous signale à titre informatif que je me réserve de faire valoir mes droits par les voies qui me paraîtront utiles, ce qui n’exclut ni un droit de réponse, ni toute autre procédure.

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