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La diplomatie des sommets est-elle utile ?

Les sommets internationaux se succèdent à une vitesse étourdissante. L’actualité récente a braqué le projecteur sur plusieurs de ces grands raouts : le G7 à Hiroshima (19-21 mai), le sommet de la Ligue arabe à Djeddah (19 mai), le sommet pour la démocratie (à Washington, les 29-30 mars), sans oublier le tout récent sommet de la Communauté politique européenne à Chisinau, le 1er juin, tenu alors qu’au même moment les ministres des Affaires étrangères des BRICS se réunissaient au Cap. Il y aura bientôt le sommet de l’OTAN à Vilnius les 11-12 juillet, puis celui du G20 à Delhi, les 9-10 septembre.

Bref, on assiste à une véritable inflation de sommets, ce qui semble indiquer que les parties prenantes y trouvent un intérêt certain. Comment ces rassemblements des dirigeants de la planète se déroulent-ils et, surtout, quelle est leur valeur ajoutée réelle ?

Vienne 1815, Paris 1919 : les références

Un sommet est une réunion des chefs d’État et de gouvernement où – normalement – se prennent des décisions importantes. Le Congrès de Vienne (1814-1815), que l’on peut considérer comme le premier sommet international de tous les temps, réunit les puissances victorieuses de l’époque (Autriche, Angleterre, Prusse, Russie) et dessine un nouvel équilibre européen qui subsistera, bon an mal an, jusqu’à 1914.

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Un peu plus d’un siècle après le Congrès de Vienne, la Conférence de Paris de 1919 est celle des vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Le traité de Versailles qui y est rédigé est le fruit des négociations conduites au château de Versailles de janvier à juin 1919 entre les trois chefs des principales puissances (Woodrow Wilson, Lloyd George et Georges Clemenceau).

La signature du Traite de Versailles.
Extrait d’une vue stéréoscopique, auteur anonyme, photographe de l’armée française

Le Congrès de Vienne puis la Conférence de Paris contiennent déjà en germes les postulats qui sont à la base de tout sommet : un sommet est, d’abord, un exercice interétatique, et l’agenda est entièrement déterminé par la volonté des États participants, qui s’entendent pour faire prévaloir leurs vues. Il faut ensuite que les chefs d’État ou de gouvernement soient présents, car le succès d’un sommet dépend de la connivence existant entre eux : la diplomatie des sommets n’est pas la diplomatie multilatérale. C’est une diplomatie de nature oligarchique ou excluante : le G20 exclut 174 États (tous les États de l’ONU qui ne sont pas membres du G20). Au point qu’on a forgé le terme de « minilatéralisme » pour décrire cette forme de gouvernance oligarchique. Enfin, ce qu’on recherche dans un sommet, c’est une vision commune, que chaque État s’engage à mettre en œuvre.

Sommets réguliers et sommets extraordinaires

Il est possible de distinguer les deux principales catégories de sommets : les sommets réguliers et les sommets extraordinaires.

Les premiers s’inscrivent dans une relation bilatérale ou minilatérale classique, marquée par une certaine périodicité : citons, entre autres exemples, les sommets franco-allemands, qui se tiennent deux fois par an, les sommets bisannuels des États francophones ou encore ceux des États de l’Asie-Pacifique (APEC) et de l’OTAN.

Ces sommets reposent sur des règles de fonctionnement bien huilées du fait de leur fréquence. Ils exigent des dirigeants qui y participent un certain niveau de préparation dans la mesure où ils seront soumis au jugement de leurs pairs. Ils facilitent les accords entre les chefs de gouvernement et d’État concernés car ceux-ci ont la possibilité, en échangeant directement, de conclure des négociations qui avaient pu être ralenties ou bloquées par les pesanteurs bureaucratiques. Ils définissent une temporalité, qui est celle séparant chronologiquement deux sommets. L’objectif est alors de terminer une négociation au sommet suivant. Enfin la visibilité (d’aucuns diront la scénographie) des sommets présente l’avantage d’inciter les dirigeants à faire de leur mieux pour surmonter les obstacles persistants et afficher des résultats concrets.

Le 30 juin 2022, le président hongrois Viktor Orban, accompagné de ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères, arrive au sommet de l’OTAN à Madrid. Rare occasion d’échanges entre la Hongrie et l’ensemble des autres membres de l’Alliance, avec lesquels elle est en désaccord sur la question de l’attitude à adopter vis-à-vis de la guerre en Ukraine.
Belish/Shutterstock

Les sommets extraordinaires, pour leur part, sont des événements diplomatiques qui, en principe, ne se produisent qu’une fois. L’un des plus fameux fut le sommet de Camp David entre Israël et l’Égypte, en septembre 1978. Les Accords de Camp David signés à cette occasion débouchèrent sur un traité de paix bilatéral israélo-égyptien en mars 1979. À la différence des sommets réguliers, ce type de sommet est soumis à la pression du temps. On ne peut pas reporter les points non conclus à un prochain sommet.

En amont du sommet, tout sera fait pour éviter l’échec. Ainsi, dans le domaine du désarmement nucléaire, les négociations entamées en 1969 à Helsinki sous la dénomination SALT (Strategic Arms Limitation Talks) avançaient avec peine. Mais l’annonce du sommet Nixon-Brejnev à Moscou en mai 1972 eut un effet d’accélération. Les accords SALT furent conclus entre les États-Unis et l’URSS en mai 1972, coïncidant avec le sommet de Moscou.




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Ces sommets extraordinaires sont souvent aussi des occasions de développer des liens personnels entre responsables politiques. On constate que les dirigeants américains sont friands d’organiser des sommets dans des lieux de semi-villégiature (Camp David, le ranch des Reagan, celui de George W. Bush) où la priorité est donnée non pas tant aux réunions de travail qu’aux promenades et moments de détente, où les dirigeants sont supposés fendre l’armure et devenir plus… humains.

George W. Bush, Vladimir Poutine et leurs épouses pendant une balade dans le ranch des Bush à Crawford, Texas, le 4 novembre 2001.
Eric Draper/Whitehouse.gov

Les sommets du G7 (G8 jusqu’à l’exclusion de la Russie en 2014) sont préparés longtemps à l’avance par les sherpas, véritables « experts en sommets », ayant rang de vice-ministre ou de secrétaire d’État, parfois de conseiller diplomatique (Jacques Attali fut le sherpa de François Mitterrand). Le terme est emprunté au vocabulaire des guides de montagne dans l’Himalaya. Les sherpas sont eux-mêmes assistés par des « sous-sherpas », l’un économique et financier, l’autre diplomatique. Les sherpas forment une communauté d’experts qui se rencontrent régulièrement et coordonnent les préparatifs des sommets. Leur proximité avec les chefs d’État ou de gouvernement fait d’eux des experts influents et incontournables.

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Analysant le rôle des sherpas, Noël Bonhomme explique que les « réunions des sherpas connurent une codification croissante marquée par le mimétisme vis-à-vis des sommets tant dans la durée que dans l’organisation du travail. […] Experts d’un domaine (les questions économiques) et chargés d’une mission spécifique (préparer les discussions), ils furent de plus en plus les maîtres d’œuvre d’exercice de diplomatie multiforme […] gérant aussi les aspects de plus en plus divers des sommets, des entretiens bilatéraux à la diplomatie publique. »

Les sherpas font le lien entre les dirigeants politiques et les négociateurs diplomatiques. Ce sont bien souvent eux qui forgent les compromis, même si c’est le pouvoir politique qui en tire tout le crédit. Ce sont eux, aussi, qui rédigent les traditionnelles déclarations politiques de fin de sommet, qu’on appelle communiqués finaux.

Enfin, il ne faut pas oublier le coût des sommets, de plus en plus onéreux, notamment à cause des frais liés à la protection des participants. Ainsi, le G7 de La Malbaie (Canada) en 2018 a coûté l’équivalent de 450 millions de dollars. Ce qui suscite évidemment des réactions négatives dans l’opinion publique. Avec les habituelles questions : a-t-on besoin des sommets ? Peut-on les rendre moins dispendieux ?

De vraies limites, mais quelques mérites

Tout paraît indiquer que la tendance contemporaine va vers une multiplication des sommets, qu’ils soient périodiques ou ad hoc. La diplomatie des sommets repose sur le prédicat que le concert des puissances est la condition nécessaire et suffisante d’une gouvernance mondiale efficace. Mais cette idée est quelque peu illusoire car ce sont d’abord les États qui assurent la régulation, que ce soit dans le domaine de la sécurité internationale ou du développement. Or les « G7 » et les « G20 » produisent souvent de la concertation sans décision, ce qui débouche inévitablement sur l’immobilisme.

Pourtant, les sommets ont quelques mérites. Tout d’abord, ils constituent une forme d’apprentissage à la négociation pour des États plutôt habitués aux postures unilatérales, comme ce fut le cas pour la Russie durant les 17 années (1997-2014) où elle appartint au G8. La diplomatie des sommets est de ce point de vue utile, parce qu’elle crée de la connivence entre les États – en cela, elle est dans la droite ligne des rapports de puissance inspirés du Traité de Westphalie de 1648, qui codifia la coexistence des États-nations souverains, débouchant sur le Concert européen du XIXe siècle (consacré par le Congrès de Vienne en 1815).

En même temps, elle favorise l’idéologie des « clubs » (le P5 du Conseil de sécurité, le G7 ou G8, etc.) qui entraîne une tension permanente entre ceux qui en sont et ceux qui voudraient en être – ce que l’on appelle la relégation, comme ce fut le cas pour l’Empire ottoman au XIXe siècle (il ne fut pas admis dans le Concert européen), et comme le montre l’exclusion de la Russie du G8 en 2014 après l’annexion de la Crimée. Cette relégation est également ressentie aujourd’hui par les puissances émergentes qui demandent à élargir la composition du Conseil de sécurité et se heurtent aux cinq membres permanents.

Concluons avec Dominique de Villepin : les sommets, estime l’ancien chef de la diplomatie française, « constituent une armature indispensable de la mondialisation pour amortir les chocs entre le niveau du multilatéralisme parfait et celui du pur jeu des puissances ».

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