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et si nous assouplissions notre politique de visas ?

Au cours des dernières décennies, le renforcement continu des contrôles aux frontières des pays de l’OCDE a poussé les migrants à recourir de plus en plus aux passeurs et à emprunter des routes plus dangereuses. Les pays européens n’hésitent plus à externaliser leurs politiques migratoires par des accords avec des pays voisins (Turquie, Lybie, Tunisie) peu scrupuleux en matière de droits de l’homme, ce qui bloque certaines routes mais pousse les migrants vers d’autres routes comme le rappelle notamment notre article en cours de parution dans « Population and Development Review ».

Ceci entraîne de véritables tragédies humaines et nourrit les réseaux criminels qui ont augmenté le prix de leurs services.

Soit, d’après Frontex en moyenne 5000 euros pour atteindre l’Italie de Turquie en 2019, et il faut compter plus en ajoutant des mouvements secondaires ou des trajets par avion (de 27000 à 47000 USD entre l’Asie et les US selon le rapport de l’UNODC de 2018.

Cette politique est fortement remise en cause face aux débordements observés aux frontières de l’Europe, comme récemment à Lampedusa ou en Biélorussie.

Par ailleurs, les gouvernements de pays aux populations vieillissantes doivent répondre aux besoins en main d’œuvre qui sont de plus en plus saillants dans des secteurs clefs de l’économie comme l’agriculture, le soin à la personne, l’hôtellerie-restauration et la construction. Pour pallier ces besoins, des pays comme la France et l’Allemagne ont modifié leur législation en facilitant les procédures de régularisation des sans-papiers.




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En effet la plupart des pays « d’accueil » délivrent un nombre de visas de travail trop limité, en particulier pour les travailleurs peu qualifiés qui n’ont d’autres moyens pour atteindre les pays riches que de risquer leur vie.

À l’inverse de ces politiques restrictives, ouvrir les frontières complètement mettrait, certes, les passeurs en faillite mais au risque d’augmenter de façon incontrôlée le nombre de migrants, un scénario politiquement peu envisageable actuellement en France où, selon certains sondages, l’opinion qu’« il y a trop d étrangers en France » est largement partagée, comme dans d’autres pays voisins qui ont voté le Brexit ou envisagent de sortir de l’Europe pour mieux contrôler leurs frontières.

Une combinaison de deux types de mesures pour affaiblir le marché des passeurs

Nos recherches montrent que seule une combinaison habile de deux types de mesures souvent perçues comme polarisées par les décideurs – sanction des activités illégales et multiplication des possibilités légales de travailler dans les pays de destination- peut affaiblir le marché des passeurs sans augmenter de façon incontrôlée l’immigration.

Nous modélisons l’impact des coûts et des facteurs de risque sur la décision de franchir les frontières légalement ou illégalement ainsi que les effets des politiques sur l’organisation du marché des passeurs. En intégrant dans notre analyse la demande de services pour franchir les frontières et l’offre de services des passeurs, nous proposons de combiner les instruments traditionnels de politiques migratoires, tels que les contrôles aux frontières et les contrôles internes, avec une structure innovante de tarification des frais de visas pour réguler l’immigration de travailleurs.

Euronews, 2020, Migrants : les passeurs escroquent, les locaux aident.

Une première approche « simpliste » consisterait à facturer les visas au même prix que celui des passeurs afin de remplacer les voies de migration irrégulières par des voies légales et de lever des ressources publiques. Or, fixer les prix des visas de cette manière ne mènera pas à l’élimination du marché des passeurs. Les passeurs réagiront en baissant leurs prix et pourront toujours attirer les migrants les plus pauvres qui préféreront payer un prix plus bas pour des services « low-costs » encore plus dangereux. Cette situation sera inévitable, à moins que le prix des visas ne soit fixé à un niveau si bas que les passeurs ne puissent plus rivaliser sans faire de pertes.

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Les décideurs politiques se sentent dès lors confrontés au dilemme suivant : soit fixer les prix des visas très bas pour éliminer les passeurs, ce qui augmenterait fortement les flux migratoires et heurterait une majorité d’électeurs, soit contrôler les flux migratoires par des politiques de fermeture des frontières, ce qui génère un marché florissant pour les passeurs. Notre proposition permet justement de dépasser ce dilemme.

Ouvrir et contrôler

Si l’objectif est de contrôler les flux migratoires et d’affaiblir les passeurs, une meilleure idée est de combiner la libéralisation de visas avec un renforcement des sanctions contre les activités illégales, en particulier envers les entreprises qui emploient illégalement des travailleurs étrangers dans les pays « d’accueil ».

Le moyen que nous proposons est de fixer les frais de visas à un niveau suffisamment bas, tel que les passeurs font faillite compte tenu de leurs coûts d’exploitation. Et nous montrons qu’un tel prix d’« éviction » peut être fixé à un niveau pas « trop » bas– si l’objectif d’un gouvernement est, pour des raisons politiques, de limiter les flux de travailleurs étrangers.

En pratique ce prix d’« éviction » dépendra d’un grand nombre de paramètres qui déterminent les gains relatifs d’utiliser les voies légales par rapport aux voies irrégulières. Il augmente fortement avec la durée du visa, la probabilité d’échouer lors du passage irrégulier ou d’être déporté, et si les gains espérés de pouvoir travailler « au noir » à l’arrivée diminuent fortement.

Par exemple, nous montrons qu’un visa de quatre ans pour migrer du Sénégal vers l’Espagne autour de 4000 USD pourrait assécher le marché des passeurs sur cette route et ce prix peut être fixé plus haut si on applique des sanctions plus fortes contre les employeurs de travailleurs en situation irrégulière ou contre les passeurs.

En effet les coûts opérationnels des passeurs augmentent avec une répression accrue contre leur trafic et l’attrait pour leurs services diminue si l’emploi illégal de travailleurs étrangers est fortement sanctionné dans les pays de destination. Il devient alors plus facile de casser leur modèle économique avec des visas payants.

Le contrôle des flux migratoires se fera dès lors par le prix du visa et ses caractéristiques telles que sa durée et le type d’emplois auxquels il donne accès, et non plus par des quotas de visas. En fonction des objectifs de la politique migratoire et des autres leviers de la politique migratoire, les prix des visas et leur durée peuvent être fortement modulés pour ajuster les flux. Ils devront même parfois être négatifs pour subventionner des étrangers à venir travailler, comme cela a été décidé par le gouvernement français qui a appelé en urgence des travailleurs Marocains pour sauver la clémentine corse pendant la crise du COVID.




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Les écueils à éviter

Pour éviter les écueils bien connus liés aux permis de travail temporaires et encourager le retour volontaire des travailleurs dans leur pays d’origine à l’expiration du visa, il faut mettre en même temps en place des mécanismes d’incitation forts.

Ceux-ci se sont montrés efficaces dans le passé. Par exemple, en 1967 le gouvernement du Malawi avait imposé à ses nationaux travaillant dans les mines d’Afrique du Sud la rétention d’une large part des salaires gagnés et de les transférer au moment de leur retour, ce qui a eu, en plus de l’effet escompté, des impacts positifs sur l’éducation dans les communautés d’origine.

Suivant la même idée, des retenues de salaire, bloquées sur un compte bancaire et rémunérées par des intérêts avantageux reversés au retour, pourront inciter les travailleurs à revenir dans leur pays d’origine, tout comme l’attribution de points pour faciliter de nouvelles migrations à l’avenir. Ceci bien sûr à condition que le pays d’origine ne soit pas en conflit civil, auquel cas les travailleurs pourront rester en demandant l’asile.

Mais nombre de pays d’accueil, suivant l’exemple du Canada préfèreront aussi prolonger les visas temporaires avant leur expiration et ouvrir des voies plus permanentes aux immigrés contribuant pleinement à leur économie.

Les avantages de ces mesures

Les avantages de cette politique sont nombreux. Elle permet d’attirer des travailleurs qualifiés ou des travailleurs moins qualifiés dans certains secteurs en tension, en multipliant les permis de travail. Elle peut être financée par les ressources supplémentaires générées par les frais de visa et les ressources publiques engendrées par les contributions économiques liées à l’emploi légal de travailleurs étrangers dans des secteurs sous tension. Même si ces contributions restent à évaluer, la complémentarité entre ces travailleurs immigrés et le reste de notre économie laisse à augurer des effets globalement positifs qu’il reste à évaluer avec précaution..

L’intérêt principal de ce nouveau système de visas est de proposer aux travailleurs étrangers des moyens légaux de migrer au lieu de laisser ce marché illégal aux mains des passeurs. Même si des programmes de migration temporaire sont déjà à l’œuvre dans beaucoup de pays comme au Canada ou en Asie du Sud-Est, avec plus ou moins de succès – contestés au nom des droits des travailleurs par leurs pourfendeurs et ONG telles que Human Right Watch ou FLEX, salués pour leur efficacité à répondre aux besoins du marché du travail par d’autres- ils n’ont pas été conçus pour concurrencer les services des passeurs.

La mise en place du type de système de visas que nous proposons permet d’affaiblir les activités des passeurs et de protéger plus facilement les travailleurs qui accèdent légalement au marché du travail dans nos pays au lieu d’être employés illégalement, le plus souvent exploités, après avoir risqué leur vie pour passer les frontières. Ce point mérite réflexion pour concevoir de nouvelles politiques migratoires.


Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

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