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comprendre la large victoire des travaillistes

Les travaillistes ont obtenu jeudi 4 juillet une très large majorité (412 députés sur 650, soit 291 sièges de plus que les conservateurs, arrivés en deuxième position).

Paradoxalement, un tel triomphe n’est pas la traduction d’un enthousiasme pour l’équipe qui entre à Downing Street, ni pour son programme. Il marque une volonté de tourner la page conservatrice… et une inquiétude vis-à-vis de cette perspective.

Tout d’abord, il est possible de lire ce raz-de-marée travailliste comme une aspiration au changement, mais à un changement qui serait tout à la fois profond et le plus dépourvu d’éclat possible. Les travaillistes l’ont bien compris : ils ont fait campagne avec une prudence extrême, un programme presque timide et en évitant tout excès d’optimisme, tout triomphalisme. Et cela, alors même que, depuis des mois, les enquêtes d’opinion annoncent la débâcle du gouvernement conservateur de Rishi Sunak.

Cette posture convient également à leur dirigeant, Sir Keir Starmer, 61 ans, dont la personnalité est plutôt dans la retenue. Il est tout sauf charismatique et ses performances comme chef de l’opposition depuis 2020 à la Chambre des Communes ont parfois été décrites comme ternes. L’équipe qu’il a construite autour de lui a préparé un programme visant certes à annoncer des changements de politiques publiques importants, mais aussi à rassurer l’électorat. Assurer la victoire électorale était la première et indispensable étape. Les discours d’acceptation prononcés dans la nuit du 4 au 5 à l’issue des dépouillements ont donc été remarquablement sobres et humbles.

Solder le traumatisme du Brexit

Les Britanniques aspirent en effet à sortir enfin d’une longue période traumatique et troublée dont le Brexit a été le symptôme, la cause, et la conséquence. L’éléphant qui a détruit une bonne partie du magasin de porcelaine anglaise est tellement gros que personne n’en a vraiment parlé pendant la campagne. Une des rares mentions a été faite par le Keir Starmer (partisan du Remain en 2016), qui a déclaré, à quelques heures du vote, qu’il ne pensait pas que son pays rejoindrait l’Union européenne de son vivant.

Pour bien comprendre pourquoi le Brexit est un traumatisme, il faut l’analyser non simplement du point de vue de la situation actuelle (le Royaume-Uni a quitté l’UE en janvier 2020) mais aussi comme 1) un pari risqué, fait par Cameron confronté à l’érosion de son soutien par le parti populiste de Farage (UKIP) ; 2) une décision surprenante qui traduisait la défiance à l’égard des politiques et un malaise croissant vis-à-vis des partis établis ; 3) un processus de négociation douloureux marqué par deux élections législatives anticipées, deux premiers ministres et un feuilleton dramatique et humiliant qui a duré quatre ans. Par ailleurs, 4) les promesses de la campagne de l’époque ont été nombreuses et crues (libération du « joug européen », retour de la grandeur du passé impérial, ressources financières considérables qui pourraient être enfin consacrées au système de santé, à la production agricole, au développement économique équitable à l’égard des régions situées au nord de Londres). Enfin, 5) la déception a été grande car aucune n’a été tenue.

Aujourd’hui, les Britanniques savent que les traités de libre-échange dont bénéficiait le Royaume-Uni en tant que membre de l’UE n’ont pas été remplacés ; que les barrières commerciales et bureaucratiques avec les anciens partenaires européens ont été progressivement relevées ; que les protections européennes en matière de droits des consommateurs ou de l’environnement (par exemple) ne sont plus appliquées ; que les investissements tant attendus dans la santé n’ont pas été engagés ; que les conflits avec les professionnels du secteur se sont multipliés ; que le monde agricole et celui des pêcheurs qui s’imaginaient être les grands bénéficiaires d’un retrait de la politique agricole commune se sont retrouvés sans main-d’œuvre pour leurs récoltes et sans débouchés pour leurs produits.

Le Brexit en lui-même n’est pas la cause de tous les maux, notamment économiques, car les gouvernements conservateurs ont comme tous les autres dû affronter la pandémie, les conséquences inflationnistes de la guerre en Ukraine. Mais il a néanmoins pesé lourd sur le ralentissement de la croissance, tandis que les expériences ultra-libérales portées par ses partisans à partir de 2020 n’ont pas apporté le rééquilibrage annoncé au profit des régions en voie de paupérisation.

Au contraire, les inégalités creusées par les politiques d’austérité des gouvernements de David Cameron se sont encore accrues : le nombre de sans-abri a été multiplié par deux, celui des enfants vivant dans des foyers pauvres par trois, la dette nationale a flambé, les impôts sur les particuliers sont les plus hauts depuis l’après-guerre, les listes d’attente pour avoir un rendez-vous médical se sont considérablement allongées, les prisons débordent, les salaires stagnent et certains secteurs d’emploi peinent à recruter, la pénurie de logements s’est aggravée, le service public de la justice tourne au ralenti en l’absence de personnel. La pauvreté bat des records, les banques alimentaires se multiplient. Pour de nombreux Britanniques, se nourrir, se loger, se chauffer, étudier, se déplacer sont des difficultés quotidiennes. Une minorité s’est enrichie ; mais les inégalités, répétons-le, se sont creusées.

Un électorat qui ne fait plus confiance à la classe politique

Lorsque le dernier gouvernement travailliste a quitté le pouvoir en 2010, beaucoup des indicateurs mentionnés ci-dessus avaient été considérablement améliorés. Même s’il leur était reproché d’avoir contribué à transformer la société britannique en « société de marché », dure, libérale économiquement mais illibérale sur des questions sociales notamment, les travaillistes avaient reconstruit les services publics de la santé et de l’éducation et réduit la pauvreté, notamment celle des enfants.

La situation que trouve aujourd’hui le gouvernement Starmer est préoccupante : la charge de la dette est trop lourde pour augmenter les impôts ; la croissance trop faible pour consolider les finances ; les marges de manœuvre sont étroites. De fait, le parti n’a fait aucune promesse, n’a pris aucun véritable engagement. Il parvient au pouvoir non pas porté par l’espoir et l’engouement mais par le dépit et le rejet.

Une autre conséquence du Brexit est politique. Premièrement, le référendum a été gagné à l’issue d’un gouvernement de coalition, en rupture avec la tradition de Westminster, dont les politiques d’austérité avaient sapé toute confiance dans les partis tiers alternatifs et modérés. Les Libéraux-Démocrates s’étaient effondrés (mais reviennent en force en 2024) tandis que les souverainistes (UKIP, aujourd’hui Reform) déployaient un discours populiste et radical qui a progressivement contaminé et laminé le parti conservateur (ils entrent pour la première fois aux Communes).

En 2016, les deux équipes de campagne favorables au Brexit, menées par Boris Johnson et Nigel Farage, avaient banalisé des discours politiques combinant rejet des élites, des experts et de l’Autre (citoyens européens utilisant la libre circulation dans le cadre de l’Union européenne et plus récemment réfugiés traversant la Manche). On retrouve ces thèmes dans les politiques des derniers gouvernements conservateurs (Johnson, Truss et Sunak) et la décomposition du parti le plus ancien d’Europe sous la pression des radicaux n’est pas terminée.

Deuxièmement, la méfiance à l’égard des politiques était une des causes du vote en faveur du Brexit. La situation s’est dégradée après des années marquées par une succession de mensonges avérés et de scandales impliquant le gouvernement, dont la liste serait trop longue (Windrush, Grenfell, Partygate, Covid management)… Trop de promesses ont été crues : celles des partisans du Brexit, celles de Boris Johnson sur le rééquilibrage économique en 2019, celles de stabilité et de croissance sous l’égide de l’ultra-libéralisme économique des conservateurs. Les électeurs ne font plus confiance aux institutions politiques et aux personnes qui les incarnent et cela est particulièrement marqué au nord de Londres.

Les difficultés commencent

La tâche qui attend le gouvernement travailliste est considérable. Les vainqueurs du 4 juillet n’ont pas fait de promesses et ne décevront pas sur ce plan. Néanmoins, les attentes restent importantes et les conditions pour répondre aux besoins du pays seront complexes. Par ailleurs, il faut s’inquiéter du fait que 70 % des électeurs considèrent que leurs préoccupations n’ont pas été abordées durant la campagne.

La victoire est écrasante mais elle est trompeuse : la participation électorale est faible (60 %) et la part des suffrages exprimés en faveur des travaillistes est modeste (35 % soit un quart de l’électorat). Les bancs de l’ppposition compteront peu de conservateurs (121) et de nationalistes écossais (9) mais beaucoup de petits partis dont des nouveaux : 4 Verts, 4 Reform (dont Farage), 6 indépendants (qui ont fait campagne sur un soutien à Gaza). Les objectifs du gouvernement travailliste sont ambitieux : restaurer les services publics, servir le public et reconstruire la confiance dans la politique. C’est loin d’être gagné !

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