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Agribashing : le ras-le-bol des agriculteurs français

L’agriculture bashing – le dénigrement des activités agricoles – prend de nombreuses formes, sur le terrain et dans les médias. Il se concrétise parfois dans l’action hors sol et contre-productive des pouvoirs publics français et européen. Accusations graves, informations erronées, amalgames, confusion, réglementations abusives… les agriculteurs français ne veulent plus servir de bouc-émissaires. Tour d’horizon du malaise de nos campagnes.

Les associations environnementales sont passées maîtresses dans les opérations coups de poing : anti-élevage, anti-pesticide, anti-gavage, anti-tout. S’il y a des combats qui méritent évidemment d’être menés, d’autres semblent déconnectés de la réalité du terrain. Car la France compte aussi 66,99 millions de bouches à nourrir et une autonomie alimentaire à préserver. Et ce n’est malheureusement pas en cultivant trois pieds de tomates bio dans son jardin que cela restera possible. Les pays industrialisés comme la France doivent aussi s’appuyer sur un secteur primaire fort, et les campagnes répétées de dénigrement du monde rural ne vont pas dans ce sens. Les principales récriminations touchent à la surutilisation des pesticides, à la maltraitance animale et à l’utilisation de fertilisants. Si certaines sont fondées, d’autres jouent littéralement sur les peurs. Mais dans la plupart des cas, les pouvoirs publics sortent immédiatement l’artillerie règlementaire, légiférant sous le coup de l’émotion, sans réflexion sur la légitimité des demandes ou les conséquences des mesures prises.

Les pesticides pointés du doigt

Premier chef d’accusation : la surutilisation des pesticides. Là, les agriculteurs sont ouvertement accusés d’être des empoisonneurs. Et cela fait la Une des journaux à chaque fois. Le 14 octobre dernier exemple, Daniel Cueff – maire de Langouët dans l’Ille-et-Vilaine – promulguait un arrêté anti-pesticides, interdisant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques « à une distance inférieur à 150m de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel ». Très vite, les informations ont enflé, les journaux se sont emparés de l’affaire… avant que tout ne retombe 11 jours plus tard, le tribunal administratif annulant l’arrêté. Le problème est néanmoins réel.

D’ici 2025, « l’objectif de réduire de 50% le recours aux produits phytosanitaires est toujours le même », assure le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume. Plusieurs produits doivent même totalement interdits à cause de leur dangerosité pour la santé humaine. Pourtant, les derniers chiffres publiés mi-janvier ont donné un grain à moudre aux anti-pesticides. Entre 2017 et 2018, leurs ventes ont bondi de 21% (en volume), contrairement aux prévisions du plan Ecophyto lancé par Nicolas Hulot alors ministre de l’Environnement. L’objectif 2025 du gouvernement ne semble pas réaliste. Si bien que les tensions entre ONG et pouvoirs publics génèrent surtout confusion et angoisse dans l’opinion publique.

Les agriculteurs, des serial killers ?

Deuxième chef d’accusation : la maltraitance animale. Chaque semaine, des vidéos alimentent les réseaux sociaux pour dénoncer la production dans tel élevage porcin de Bretagne ou tel élevage d’oies dans le Gers. Il n’est pas ici question de nier certaines réalités des élevages en batteries. Mais les associations anti-spécistes systématisent leur message mitant et radical. « Elles font l’amalgame entre la gestion des animaux domestiques et sauvages, et la maltraitance animale », commente Bernard Vallat, président de la Fédération des industriels et charcutiers traiteurs (FICT) et ex-directeur de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Leur mode d’action est lui aussi systématique, avec des intrusions sur les sites de production, dures à supporter pour la paysannerie tricolore. D’autant que la grande majorité des éleveurs aiment leur activité, respectent leurs bêtes et appliquent déjà des normes parmi les plus contraignantes au monde, la France n’hésitant pas, sans que l’on sache toujours pourquoi, à devancer ou à renforcer des réglementations européennes, lors de la transcription dans le droit national.

L’année 2019 a même battu des records en termes d’actes de vandalisme. Selon la présidente de la FNSEA Christiane Lambert, « il y a un crescendo ». S’appuyant sur les statistiques du ministère de l’Agriculture, elle dresse cette liste : « 8 intrusions en 2017, 16 en 2018, 41 en 2019 (au 31 août !). » Fin novembre, le ministère en déclarait même 71. Au-delà de ces opérations commando, ce sont les menaces et les attaques physiques que les agriculteurs français ne peuvent pas comprendre. Récemment dans la Sarthe, dans l’Ain… les cas se multiplient dans toutes les régions. Selon la Mme Lambert, ces actes sont « consécutifs aux peurs brandies par les ONG ». Fin 2019, le gouvernement a promis de prendre ces questions à bras le corps, entre écoute et dialogue de toutes les parties. A suivre.

Des engrais toxiques ?

Troisième chef d’accusation : l’utilisation d’engrais supposés cancérogènes. Partout dans le monde, les cultivateurs utilisent trois types d’engrais, pour apporter les nutriments nécessaires au développement des végétaux : azote, potasse et phosphore. Mais les médias, trop souvent, mélangent les genres. Par exemple, les contributeurs du très sérieux quotidien Les Echos publient des informations fantaisistes, voire fausses : « Les céréales servant à fabriquer notre galette des rois sont aspergées d’engrais contenant du cadmium, une substance considérée comme cancérogène. » Une simple phrase, doublement biaisée. Primo, les engrais ne sont pas « aspergés », ils se présentent sous forme de granules et sont principalement dispensés dans la terre avant la pousse. Secundo, si les engrais phosphatés (pour l’apport en phosphore) contiennent en effet du cadmium – cancérogène à haute dose et à long terme, comme dans les cigarettes par exemple –, les quantités sont minimes et ne sont dangereuses ni pour les sols ni pour la santé humaine. Impossible de développer un cancer après avoir mangé une galette des rois produite à partir de farine et donc de blé qui aurait été « aspergé » d’engrais. Mais voilà, une fois publiées, ces informations ne font qu’entretenir confusion et suspicion à l’égard des agriculteurs.

Sur cette question du cadmium, les professionnels du secteur sont dubitatifs, et craignent une manipulation. En 2018, l’Union européenne a en effet imposé une nouvelle norme, abaissant le taux de cet élément, de 90mg/kg à 60mg/kg, avec pour objectif d’ici 16 ans de descendre à 20mg/kg. Mais de nombreuses études scientifiques se contredisent sur l’impact d’une telle baisse. Par exemple, Thibault Sterckeman, ingénieur au Laboratoire sols et environnement (LSE) de l’Université de Lorraine et plutôt critique à l’égard du cadmium, reconnaît que « si la réglementation européenne entre en vigueur, la baisse du cadmium dans les sols serait de 3,8 % d’ici cent ans. L’allongement du délai proposé par le Parlement européen n’aurait que très peu d’effet sur l’évolution de la teneur ». Là aussi, les marchands de peur font donc recette. Au-delà, se pose la question de la cohérence d’une législation qui s’impose aux agriculteurs français, mais ne concerne pas les importations : à terme, tout en tuant la compétitivité de l’agriculture française, cette réglementation va favoriser les importations de produits loin de respecter les normes européennes.

Revenus très bas et taux de suicide record

Voici donc les d’accusations, fondées ou non, entretenues par les lobbies environnementaux. La défiance ainsi créée à l’égard des agriculteurs a des conséquences dramatiques, et participe grandement aux difficultés du monde rural français de ce début de siècle. L’autre facteur du malaise de nos campagnes touche évidemment au porte-monnaie, car les saisons se suivent et ne se ressemblent pas, entre aléas climatiques et variations du prix des produits agricoles sur le marché mondial. En 2017, 20% des agriculteurs français ne se sont tout simplement pas versé de salaire, 30% touchent 350 euros. Cette même année, 50% des exploitations affichaient un résultat courant avant impôt (RCAI) par actif non salarié à 20700 euros, soit 1725 euros bruts par mois ; 25% étaient même sous la barre des 7700 euros annuels, soit 642 euros mensuels. Une détresse financière qui a évidemment des conséquences sociales.

La sénatrice de Haute-Vienne Marie Françoise Perol-Dumont s’alarme de cette situation : « Alors que les revenus agricoles sont déjà parmi les plus bas en France, notre étude souligne que le plus grand nombre de suicides a été observé durant les mois où les prix du lait était les plus bas. On compte un suicide d’agriculteur tous les deux jours, des hommes de 45 à 54 ans en majorité. » Et cela a même empiré depuis 2017. Selon un reportage de France 3 en 2019, nous en serions à « plus de deux suicides par jour, selon les chiffres de la Mutualité sociale agricole parus cet été. Elle évoque 605 suicides chez agriculteurs, exploitants et salariés ».

En octobre dernier, des milliers d’agriculteurs français (FNSEA, Jeunes agriculteurs, indépendants…) ont crié leur ras-le-bol. Pour cela, eux aussi ont recours à des opérations coups de poing, en bloquant les routes avec leurs tracteurs, jusqu’au boulevard périphérique parisien, en déversant fétus de paille ou produits alimentaires devant les préfectures, en région, ou encore en déployant des banderoles aux quatre coins de la France, « Macron, réponds-nous ! ». Les agriculteurs français aimeraient faire la Une des journaux, eux aussi.

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