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Au procès du jihadiste Taghi, l’humanité du surveillant

« Je pense que tout n’est pas perdu »: le surveillant Philippe X. s’est adressé mercredi à Bilal Taghi, le détenu radicalisé qui a tenté de l’assassiner en prison, le ramenant au « sens qu’il veut donner à sa vie ».

Une humanité d’autant plus saisissante que la cour d’assises de Paris vient de visionner la vidéo de l’attaque du 4 septembre 2016 à la prison d’Osny (Val-d’Oise): on y voit l’accusé se jeter sur le gardien sans aucune hésitation, le poignarder à plusieurs reprises et le pourchasser dans le couloir pour tenter de l’achever.

Le couteau artisanal du détenu a traversé la gorge de sa victime, manquant la carotide. Un second surveillant, alerté par les cris, sera aussi blessé avant de parvenir à emmener son collègue pour le mettre à l’abri.

Resté dans le couloir en attendant l’arrivée des équipes d’intervention de la pénitentiaire qui le neutraliseront, Bilal Taghi apparaît souriant face à une caméra, mime un égorgement et fait sa prière. Puis il tracera un coeur sur une vitre après avoir trempé son doigt dans le sang qui macule le sol.

Philippe X. (il préfère taire son nom) est sorti pour ne pas voir les images.

« Même si j’ai de la douleur en moi, je pense qu’un homme peut changer », dit-il d’une voix douce. Le grand gaillard baraqué de 41 ans, qui n’a toujours pas repris le travail, évoque avec pudeur « ce que les psychologues appellent un choc post-traumatique ».

Il raconte son engagement au sein de la pénitentiaire où, depuis près de vingt ans, son « désir était d’aider ». « Il y a des violeurs, des criminels, nous avons la charge de ces gens ».

Il s’est occupé successivement de mineurs en difficulté, de terroristes du GIA algérien – « Ce n’était pas le même monde qu’aujourd’hui, ils étaient plus âgés, plus respectueux » -, du sport en détention – « pour permettre à des jeunes d’avoir une autre vision de la société, celle qui s’en sort ».

– « Merci la vie » –

Quand sont créées les « unités dédiées » à la déradicalisation en septembre 2016, il n’hésite pas, pense que son « savoir-faire » et son « expérience » peuvent « aider des jeunes ».

« Certains ont pu s’en sortir. Je pense que tout n’est pas perdu, cet homme est en vie », dit-il, se tournant vers Bilal Taghi, qui s’est mis à pleurer dans le box.

« Il faut se relever. Choisissez l’homme que vous voulez être. Vos enfants, c’est votre patrie. Ne restez pas sur le passé. Vos enfants ont besoin de vous. Ils sont encore petits, vous avez des choses à leur apprendre », lance-t-il.

La présidente veut l’entendre sur les faits, se demande si sa corpulence – il est plus grand et fort que Taghi – l’a aidé à résister à l’attaque. « Je ne crois pas, il aurait pu avoir une montagne devant lui, il était déterminé ».

Philippe X. n’oublie pas qu’il s’est « vu cracher du sang », ne peut chasser l’image du visage de Taghi où il a vu de « la colère » et de « la haine ». Mais il « ne regrette rien ».

Il sait que son agression a sonné le glas des « unités dédiées », qui ont été remplacées par des quartiers d’évaluation de la radicalisation. Les détenus les plus dangereux sont isolés, leurs cellules équipées de passe-menottes pour qu’ils soient entravés avant de sortir, les fouilles et les gardiens plus nombreux.

« On a appris de nos erreurs, j’espère », dit-il, même s’il estime que « cela ne sera pas suffisant » face à des jeunes sans repères ni cadre éducatif.

Lui a dû lutter contre « la colère » et « le désir de vengeance » – « j’ai eu des pensées qui étaient comme les siennes », dit-il, désignant son agresseur recroquevillé dans le box.

« C’est dur de revenir à l’homme qu’on était », confesse-t-il, avant d’ajouter: « Merci la vie de me donner une seconde chance et de permettre à cet homme de voir quel sens il veut donner à sa vie ».

Des bancs de la défense, l’un des avocats de Bilal Taghi se lève, pour dire sobrement: « Monsieur, on est impressionné par votre sagesse et votre courage ».

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