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Mediator: l’accablement du premier directeur de l’Agence du médicament

Didier Tabuteau est « accablé » depuis qu’a éclaté le scandale Mediator: ce haut fonctionnaire, premier directeur de l’Agence du médicament, en poste entre 1993 et 1997, admet avoir raté les alertes qui auraient pu conduire au retrait du marché de ce coupe-faim pour éviter « le drame ».

« Je ne suis ni médecin ni pharmacien. Aurais-je dû refuser le poste en 1993 ? (…) Le ministre de la Santé m’avait demandé de construire l’Agence. J’avais un peu de compétence administrative, je savais motiver les équipes. Fallait-il une compétence médicale? Je ne cesserai de me poser la question », explique le sexagénaire en costume sombre, actuellement président de la section sociale du Conseil d’Etat.

Il avait 35 ans quand il a été appelé pour créer cette agence, au lendemain de l’affaire du sang contaminé. Ce diplômé de Polytechnique et de l’Ena a travaillé dans plusieurs cabinets ministériels avec Claude Evin, Bernard Kouchner et aussi Martine Aubry en 1997.

M. Tabuteau est convoqué en tant que témoin au procès du Mediator. En revanche, l’agence qu’il a dirigée, l’Afssaps, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue l’ANSM après le scandale du Mediator, est jugée pour homicides et blessures involontaires entre 1995 et 2009.

« Ce que je vais dire n’est pas une défense de l’Agence du médicament », démarre-t-il à la barre. « Le drame a eu lieu. L’objectif de l’Agence était d’éviter que de tels drames surviennent. Je suis à titre personnel accablé par ce qu’il s’est passé », déclare M. Tabuteau, le buste penché en avant comme un arbre dans la tempête.

Utilisé par cinq millions de personnes pendant les 33 ans de sa commercialisation, entre 1976 et 2009, le Mediator est tenu pour responsable de centaines de morts. Ce coupe-faim est à l’origine de graves maladies du coeur et du poumon.

Mais l’ex-directeur n’a « aucun souvenir » du Mediator pendant ces quatre ans où il a dirigé l’Agence. Il se souvient en revanche très bien d’autres médicaments anorexigènes des laboratoires Servier: l’Isoméride et le Ponderal, retirés du marché en 1997.

– « Au service de l’industrie » –

Il admet, « rétrospectivement », que retirer ces deux médicaments mais conserver leur cousin, le Mediator, est « difficilement compréhensible ». « Il y avait en 1997 une occasion de retirer Mediator. On ne l’a pas fait. Le système donnait l’impression d’être sûr. On sait maintenant qu’il ne l’était pas ».

Il y a d’autres éléments qui dérangent: 1995 est une année-clé, une année d’occasions manquées. Une enquête officieuse est lancée au centre régional de pharmacovigilance de Besançon après des doutes concernant le Mediator. Qui a décidé de cette enquête?, interroge la partie civile. « Cela se passait au sein de la direction de l’évaluation », affirme M. Tabuteau.

En 1995 toujours, le Benfluorex, le principe actif du Mediator, est interdit dans les préparations magistrales qui sont effectuées par un pharmacien pour un patient déterminé. Pourquoi une interdiction aussi limitée? Cette question « taraude » toujours Didier Tabuteau.

S’il n’a aucun souvenir du Mediator, il ne peut pas nier avoir signé, en octobre 1995, une note qui autorise les laboratoires Servier à continuer de vendre ce médicament présenté comme un anti-diabétique. « Je n’ai pas le souvenir de cette note. (…) Je ne pourrais rien espérer de mieux qu’une décision inverse ait été prise à l’époque ».

Les laboratoires Servier exerçaient-ils des pressions sur l’Agence?, interrogent la présidente puis des avocats. « Jusqu’en 1997, je ne l’ai pas ressenti », affirme l’ex-directeur. Mais la présidente lit des scellés, un compte-rendu de déjeuner en 1993 saisi lors de perquisitions dans les laboratoires. Autour de la table: Jacques Servier, le tout-puissant chef des laboratoires, Alain Le Ridant, pharmacien responsable du groupe et Jean-Michel Alexandre, un ponte de la pharmacologie.

« L’Agence doit être considérée comme un outil au service de l’industrie pharmaceutique française », a-t-il alors été dit. Pour l’ex-directeur, ces propos sont « épouvantables ».

Mais Didier Tabuteau choisira Jean-Michel Alexandre comme bras-droit, pour être directeur de l’évaluation du médicament. En 2001, à sa retraite de l’Afssaps, M. Alexandre deviendra consultant pour Servier. Il compte aujourd’hui parmi les prévenus au procès.

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