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ENGIE : crise au sommet et risques de démantèlement

La probable non reconduction dIsabelle Kocher à la direction d’Engie révèle un projet de démantèlement du groupe avec liquidation des infrastructures gazières. Une option de profit boursier immédiat qui, au-delà de la personne de la dirigeante, compromettrait une vraie politique énergétique verte.

Engie troisième mondial de l’énergie hors pétrole, l’ex GDF SUEZ, emploie plus de 158.000 salariés, avec un chiffre d’affaire supérieur à 60 milliards.  Le groupe est largement contrôlé par l’État. Il possède près d’un quart des actions et plus de 34% des droits de vote. Les choix d’investissement et la stratégie du groupe ont des conséquences à long terme pour la politique écologique de notre pays et au-delà.

Engie a entrepris de réduire les énergies carbonées pour favoriser le  renouvelable et les services. Ce choix vertueux vise au « zéro émission carbone » : moins de gaz à effet de serre, sortie du charbon (effective depuis quelques mois), gestion intelligente de la consommation, priorité à la géothermie, à la biomasse, au solaire, à l’éolien, à l’hydroélectrique, et, bien sûr, réduction du nucléaire… Cela appelle comme complément une production décentralisée et le recours au numérique (réseaux intelligents) pour s’adapter efficacement aux besoins énergétiques réels.

Transition énergétique et  intérêts boursiers

Cette stratégie complexe doit s’étaler a minima sur une double période (décarbonation surtout de 2016 à 2019, puis de 2019 à 2021 important investissement dans les solutions de transition, stockage, réduction de consommation, rechargement des véhicules, etc., avec une aide à l’efficacité énergétique et aux alternatives renouvelables).

Une telle ambition (si l’on songe qu’Engie fut le sixième plus gros émetteur de CO2 du monde) suppose une continuité de gouvernance. Et une volonté claire :  c’est ici que le bat blesse.

Les bouleversements stratégiques que nous venons de décrire ont commencé quand l’ancien PDG du groupe, Gérard Mestrallet, est parti en 2016. Il laissa alors la présidence à Jean-Pierre Clamadieu venu de la société belge Solvay et la direction générale à Isabelle Kocher. Elle fut préférée de justesse à Jean François Cirelli aujourd’hui dirigeant France de Black Rock. On disait aussi qu’Isabelle Kocher qui aurait dû cumuler les deux postes se heurta à l’opposition du ministre de l’Économie de l’époque, Emmanuel Macron. C’est pourtant elle qui a porté et incarné spectaculairement la transition énergétique du groupe.

Isabelle Kocher (devenue de ce fait la seule femme dirigeante du Cac 40), engagée à fond dans le processus, se heurte à une hostilité inhabituelle. Notamment des attaques personnelles avec rumeurs et lettres anonymes. Elle va surtout se confronter au conseil d’administration qui se plaint d’une valorisation boursière insuffisante en cette période de transition décisive.

Du coup, Jean Pierre Clamadieu le président conçoit le projet de se séparer du réseau de transport, distribution et stockage de gaz (GRT Gaz, Elengy, GRDF, Storengy). Cette cession permise par la loi Pacte (comme pour la Française des jeux et Aéroport de Paris) pourrait représenter une valeur de plusieurs milliards et cela fait miroiter aux actionnaires une valorisation boursière immédiatement profitable.

Mais en sacrifiant le patrimoine historique d’un très grand groupe. C’est précisément à quoi s’oppose Isabelle Kocher. Elle refuse de casser un des fleurons de l’industrie française et considère les infrastructures gazières, promises à un verdissement progressif, comme indispensables. L’Élysée pousserait à une vente qui valorise ses actifs et remplisse ses caisses. La directrice est un obstacle : fin 2019, des indiscrétions passant par BFM Business annoncent que le conseil d’administration va se séparer d’elle, alors que son premier mandat doit être renouvelé (en mai 2020). La décision doit donc tomber dans les prochaines semaines. Le conseil  a aussi demandé à un cabinet d’audit d’évaluer son action et multiplie les avanies envers sa dirigeante.

Libéralisation et liquidation

Le projet suscite des réactions fortes. Notamment des syndicats (CFE-CGC, CGT et CFDT) qui envisagent des actions dures. Ils s’inquiètent de l’hypothèse d’une liquidation du secteur gazier, éventuel prélude à une casse sociale. Ils dénoncent les politiques qui valoriseraient les actifs à court terme au détriment de la continuité. Ils craignent un scénario « à la Hercule » (le projet de scission d’EDF en deux entités, l’une restant détenue totalement par l’État, l’autre mis en bourse à hauteur de 35%). Ils l’interprètent comme une stratégie de désintégration des grandes entreprises françaises. Bref, la « vente à la découpe » pour une rentabilité immédiate et pour répondre à une politique néolibérale de l’État inquiète les salariés.

En réaction, le président d’Engie, Jean Pierre Clamadieu tente de rassurer l’opinion et sur l’éventuel départ de la directrice et sur les risques de scission du groupe. Mais il ne convainc pas tout le monde.

 Des personnalités internationales comme la directrice générale du Women’s Forum soutiennent Isabelle Kocher considérée comme une ambassadrice de la réussite féminine. Son élimination ferait contraste avec les efforts français en matière de parité (44% de femmes dans les conseils d’administration).  Paradoxe : Isabelle Kocher reçoit le trophée RH&M du « grand patrons d’exception », elle remporte un appel d’offre important du portugais EDP, une concession de l’Université d’État de l’Iowa… Ses cadres l’applaudissent ostensiblement avec une standing ovation lors d’une convention à la Cité du Cinéma. Bref, elle marque des points et est servie par son image de femme et de dirigeante verte.

Au-delà d’éventuel préjugés misogynes au sein du conseil, se pose donc une question politique : la logique de privatisation contredit la politique écologique dont se réclame pourtant le pouvoir. Au final, la réponse finale pourrait dépendre du Président de République.

 

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