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Il y a 40 ans, les funérailles « pas comme les autres » de Sartre

Le 15 avril 1980, Jean-Paul Sartre mourait à Paris d’un œdème pulmonaire. Il avait 75 ans.

Quatre jours plus tard, des milliers de personnes l’accompagnent au cimetière du Montparnasse où il est provisoirement inhumé. C’est la dernière fois en France qu’une telle foule se rassemble autour de la dépouille d’un intellectuel.

Voici le reportage écrit par l’Agence France Presse le 19 avril 1980.

– Trois kilomètres de parcours –

« Sous un ciel gris et plombé, dans un recueillement que n’a rompu aucun incident notable, des milliers de personnes ont accompagné la dépouille mortelle de Jean-Paul Sartre de l’hôpital Broussais, où il reposait depuis sa mort, jusqu’au cimetière Montparnasse, où la disposition des lieux a occasionné maintes bousculades.

Sartre, l’anticonformiste, n’a pas eu des obsèques comme les autres.

Par sa spontanéité, par la simplicité de l’hommage rendu, par le silence résigné, la foule a donné à cette cérémonie l’esprit que les proches du disparu souhaitaient: aucun faste, chacun venant « à titre personnel ».

Ainsi dans l’inorganisation la plus totale, on avait bien du mal à distinguer les +personnalités+ des autres visages (…)

Pourtant +les amis+ étaient là, les acteurs François Périer, Delphine Seyrig, Yves Montand et Simone Signoret, Mouloudji, Léo Ferré.

Les équipes de « Libération », de « La revue des temps modernes » et des éditions Gallimard avaient fait décorer le cercueil de fleurs. De nombreux auteurs étaient présents: Claude Mauriac, Michel Foucault, André Glucksman, Françoise Sagan…

Juste derrière le fourgon de tête venait une voiture avec (…) Simone de Beauvoir, la compagne de Sartre et Arlette El Kaïm, la fille adoptive de l’écrivain.

– Rose, lys, lilium et glaïeuls –

La sortie de l’hôpital, à 14H20, par une rue étroite, a été houleuse, des centaines de photographes amateurs voulant, en plus des reporters, fixer l’événement. Mais, très rapidement, alors que le cortège débouchait sur le boulevard de ceinture vers la porte d’Orléans, des jeunes firent une chaîne autour des voitures pour éviter les bousculades. Simone de Beauvoir les remercia d’un sourire.

Le cercueil était recouvert de roses, de lys et de glaïeuls, et dans la foule, des gens portaient à la main un oeillet, du lilas ou des jonquilles.

Exceptés quelques militants qui arboraient des badges (…) la politique a été quasiment absente de cette marche (…)

A partir de 14H45, aux abords du quartier d’Alésia, la foule était de plus en plus massive, jusqu’à Denfert Rochereau où le célèbre « Lion de Belfort » était couvert de monde. De plus en plus de gens venaient déborder le cortège et le précéder autant que le suivre (…) La foule était alors de 15.000 à 20.000 personnes, selon divers observateurs.

Des enfants étaient juchés sur les épaules de leurs parents (…), par petits groupes, des jeunes discutaient à voix basse des mérites de Sartre, beaucoup de participants tenaient un exemplaire de « Libération » que Sartre a contribué à fonder, ou parfois un livre du philosophe.

– Bousculades, cris, échanges de coups –

A 15H35 le cortège empruntait le boulevard du Montparnasse, en passant devant « La Coupole », lieu de rencontre de bien des intellectuels parisiens. On rejoignait alors la place du 18 juin face à la gare Montparnasse. Les rues se rétrécissaient. Le cortège passait devant le domicile de Sartre, au numéro 29 du boulevard Edgar Quinet, sans s’arrêter. Déjà des bousculades se multipliaient (…)

Vers 16H00, le cortège arrivait devant le cimetière. Là tant sur le boulevard Quinet, qu’au milieu des tombes, quelques milliers de personnes stationnaient dans le calme. Le fourgon mortuaire eut bien du mal à franchir la porte d’entrée du cimetière.

Repoussant devant le capot des grappes de curieux et de photographes, le véhicule empruntait au pas l’allée conduisant à la 18ème division où se trouvait le caveau provisoire de Sartre (…)

– Frêle silhouette de Simone de Beauvoir –

Partout, debout sur les pierres tombales, coincés dans les minuscules allées qui courent entre les sépultures, juchés sur les toits des multiples chapelles donnant sur le caveau, des centaines de personnes tentaient de garder leur équilibre. Bousculades, cris et même échanges de coups se sont produits lorsque le corbillard (…) s’est immobilisé devant la fosse.

Il a été bien difficile aux employés des pompes funèbres d’en extirper le cercueil (…) et de le descendre dans le caveau.

Simone de Beauvoir, frêle silhouette pressée de toute part et soutenue par ses proches, s’est recueillie un instant. Bouleversée, au bord de l’évanouissement, elle n’a dû qu’à l’intervention musclée de plusieurs jeunes gens, de ne pas être écrasée par la foule. Portée plus que soutenue, mitraillée sans retenue par les photographes, elle est finalement parvenue à regagner la voiture qui l’attendait au bout de l’allée.

En fin d’après-midi, plusieurs centaines de Parisiens ont continué à défiler, silencieusement cette fois, devant la tombe y jetant des roses rouges et se recueillant ».

Jean-Paul Sartre était incinéré la semaine suivante au cimetière du père Lachaise puis ses restes inhumés à Montparnasse, dans un caveau situé à quelques pas de son ancien domicile.

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