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les violations des droits de l’homme continuent, sous le manteau

En 2018, après avoir passé trois années dans un camp de réfugiés en Tanzanie, Jean Magorwa s’est laissé tenter par le discours de réconciliation du pouvoir burundais et est rentré dans son pays. Sa famille n’a depuis plus jamais entendu parler de lui et est convaincue qu’il est mort.

L’histoire de cet enseignant proche de l’opposition est symbolique des violations des droits de l’homme qui n’ont cessé d’endeuiller le Burundi depuis la crise politique de 2015, même si le gouvernement fait tout pour en cacher l’ampleur et assurer que la paix règne désormais dans le pays.

Fatigué par trois années d’exil dans le camp de Nduta en Tanzanie et rassuré par les promesses du pouvoir, Jean Magorwa, un partisan d’Agathon Rwasa, le principal candidat d’opposition à l’élection présidentielle de mercredi, est retourné sur sa colline natale de Rugusu (est) le 29 septembre 2018.

Prudent, il a laissé derrière lui sa femme et ses deux enfants et est venu avec un ami, qui n’a pas été identifié, pour « préparer le rapatriement définitif de sa famille », raconte Pacifique Nininahazwe, à la tête du programme Ndondeza, qui enquête sur les cas de disparitions forcées.

Mais sitôt arrivés, les deux hommes ont été arrêtés par des Imbonerakure, la ligue de jeunesse du parti au pouvoir (CNDD-FDD), qualifiée de milice par l’ONU, et remis au responsable régional du Service national de renseignement (SNR), Bonaventure Niyonkuru, selon la même source.

Les Imbonerakure et le SNR sont, avec la police et dans une moindre mesure l’armée, les bras armés de la répression menée par le pouvoir contre tous ceux qui se sont opposés à la candidature pour un troisième mandat en avril 2015 du président Pierre Nkurunziza, réélu en juillet de la même année.

Selon le récit de M. Nininahazwe, Jean Magorwa et son compagnon d’infortune ont ensuite été torturés. « Sa famille a perdu sa trace à partir de ce moment-là », affirme-t-il, et « aujourd’hui, elle a perdu tout espoir de le retrouver vivant ».

– ‘Des violations dissimulées’ –

Les violences qui ont suivi la crise politique de 2015 ont fait au moins 1.200 morts et déplacé plus de 400.000 personnes entre avril 2015 et mai 2017, d’après les estimations de la Cour pénale internationale (CPI), qui a ouvert une enquête.

Ce bilan ne retrace toutefois qu’imparfaitement la réalité de la situation. Car la répression ne s’est pas arrêtée en 2017, mais elle a changé de forme. Alors qu’elle s’étalait auparavant au grand jour, elle s’exerce depuis surtout dans l’ombre.

« De graves violations des droits humains se sont poursuivies en 2019, mais ont souvent été cachées et rapidement dissimulées, rendant difficile l’établissement des circonstances dans lesquelles elles se sont produites », notait dans un rapport récent l’Initiative pour les droits humains au Burundi (BHRI).

Les exécutions sommaires, disparitions, détentions arbitraires, tortures et violences sexuelles à l’égard des opposants présumés ou des défenseurs des droits de l’homme ont créé un climat de peur persistant, jusque dans les campagnes les plus reculées.

Iteka, la plus ancienne ligue des droits de l’homme du Burundi, interdite par les autorités, a établi un bilan bien plus élevé que celui de la CPI. Elle a documenté « 2.245 personnes tuées et 555 portées disparues » depuis 2015, selon son président Anschaire Nikoyagize.

Pour la seule année 2019, Iteka a recensé 371 morts, 45 disparus, 62 victimes de violences sexuelles, 257 personnes torturées et 1.046 arrêtées arbitrairement.

– ‘Un changement de stratégie’ –

« Les violences étatiques ont continué d’une manière systématique, même si on constate qu’à partir de 2018 ils ont amorcé un changement dans leur stratégie et leur méthodologie criminelles pour protéger les auteurs de ces crimes », déclare à l’AFP l’activiste burundais.

Si le SNR et la police étaient initialement en première ligne, « ce sont surtout les Imbonerakure qui sont utilisés depuis 2018 et des auteurs non identifiés qui seraient des agents du SNR », et ils ont « surtout recours aux disparitions forcées afin de cacher leurs forfaits », souligne-t-il.

« Il n’y a plus personne en terme d’observateurs internationaux depuis la fermeture du bureau de l’Office du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme » en 2019, ce qui rend « plus difficile et plus risqué » de répertorier ces violations, explique à l’AFP Carina Tertsakian, chercheuse pour BHRI.

La Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi, établie en 2016 par le Conseil des droits de l’homme, a estimé que certains de ces abus pourraient constituer des « crimes contre l’humanité » et que le président Nkurunziza, qui ne se représente pas, y contribuait par ses « appels récurrents à la haine ».

Son dauphin désigné, le général Évariste Ndayishimiye, est le secrétaire général du CNDD-FDD depuis 2016. Même s’il est réputé plus ouvert que M. Nkurunziza, il n’a pas empêché les abus commis par les Imbonerakure.

Dans les semaines précédant l’élection, ceux-ci ont particulièrement ciblé les membres du Conseil national pour la liberté (CNL) de M. Rwasa, laissant craindre, selon la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et Iteka, des « violences à large échelle » après l’annonce des résultats.

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