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qu’est-ce que le TPLF, qui combat l’armée éthiopienne ?

Fer de lance de la lutte contre la dictature du Derg, puis longtemps véritable pouvoir en Ethiopie, le Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), que l’armée éthiopienne combat dans son fief septentrional du Tigré, a façonné l’histoire récente du pays.

Les années de maquis

Le TPLF est un des nombreux enfants de l’effervescence estudiantine radicale baignant dans le marxisme-léninisme, qui agite l’Ethiopie impériale des années 1960 et 1970 dominée par l’élite amhara.

Dans un pays mosaïque d’environ 80 peuples, la « théorie des nationalités » de Staline va inspirer – entre autres – quelques étudiants de la minorité tigréenne (6% de la population) pour fonder le TPLF.

Selon l’un d’eux, Aregawi Berhe, le TPLF naît en février 1975, autour d’une « poignée d’hommes avec quatre fusils », animés « d’une conscience ethno-nationaliste forgée par l’accumulation de revendications des Tigréens contre les pouvoirs centraux successifs en Ethiopie ».

Leur « objectif est l’autodétermination du Tigré au sein du régime éthiopien », écrit-il en 2004 dans la revue African Affairs.

L’empereur Haile Selassié a été renversé en 1974, mais le nouveau régime militaro-marxiste du Derg réprime durement les nombreuses revendications identitaires.

Organisé, discipliné, le TPLF s’étoffe et devient le fer de lance de la lutte armée contre le Derg.

A la fin des années 1980, l’aide des puissants rebelles érythréens lui permet « de mettre en déroute l’armée éthiopienne et de récupérer du matériel », créant « un effet boule de neige », explique Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales à Sciences Po.

Quand les divers groupes armés s’unissent au sein d’un Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), c’est le chef du TPLF Meles Zenawi qui en prend la tête.

L’ère Meles

Le 28 mai 1991, sous les uniformes de l’EPRDF, ce sont bien les combattants du TPLF qui prennent Addis Abeba.

A 36 ans, Meles Zenawi devient l’homme fort de l’Ethiopie et le restera jusqu’à sa mort en 2012.

L’EPRDF gouverne officiellement, mais seul le TPLF décide vraiment. Il a « été très habile », selon Roland Marchal: « en cooptant des contre-élites régionales » au sommet de l’administration et de l’Etat, il a « tissé immédiatement un système d’alliances qu’il contrôlait ».

Largement soutenu par les puissances occidentales, Meles a pu « à la fois régler la question nationale éthiopienne, diviser pour mieux régner et susciter dans toutes les nationalités (…) des élites » fidèles au TPLF.

Après la guerre avec l’Erythrée entre 1998 et 2000, Meles purge le TPLF, fait taire toute voix dissidente et gouverne seul.

L’après Meles

Décédé brutalement en 2012, Meles laisse un TPLF « déficient, sclérosé et extrêmement corrompu », souligne Roland Marchal.

L’EPRDF choisit comme Premier ministre le dauphin adoubé par Meles, Halemariam Desalegn. Mais celui-ci n’a pas la légitimité de la lutte armée, n’est pas Tigréen et ne contrôle pas l’appareil sécuritaire et militaire, aux mains du TPLF.

Malgré le développement économique rapide de l’Ethiopie, presque 30 ans de domination tigréenne, d’absence de liberté et de corruption galopante, ont alimenté la frustration, notamment des deux principaux peuples oromo et amhara, qui prennent la tête de manifestations antigouvernementales. Celles-ci pousseront M. Hailemariam à démissionner en février 2018.

La disgrâce

Pour le remplacer, l’EPRDF choisit Ahmed Abiy, un oromo, consacrant la perte d’influence d’un TPLF divisé sur cet ancien maître-espion.

« Quand Abiy arrive au pouvoir (…) son obsession est de marginaliser le TPLF, car il sait combien il pèse », notamment « dans les corridors de tous les ministères, dans le système de renseignement et dans la police », explique Roland Marchal.

Le TPLF est écarté de postes-clés, plusieurs de ses responsables sont poursuivis pour corruption, certains arrêtés.

Quand M. Abiy décide de fondre la coalition au pouvoir en un seul parti, le TPLF passe à l’opposition et se replie au Tigré, où il se reconstruit une légitimité populaire et défie Addis Abeba.

Le conflit

Sur place, il dispose de quelque 250.000 hommes (force paramilitaire et miliciens), selon l’International Crisis Group (ICG) mais aussi potentiellement d’armement récupéré dans les bases de l’armée fédérale au Tigré.

En tirant sur deux aéroports d’Amhara et sur celui d’Asmara, capitale de l’Erythrée, il a montré qu’il disposait d’un arsenal de longue portée précis et des compétences pour l’utiliser.

En Ethiopie, « l’expertise militaire n’est pas que tigréenne, mais elle est beaucoup tigréenne », souligne Roland Marchal, rappelant aussi que le TPLF reste influent au sein de l’appareil sécuritaire et militaire, où il compte encore des alliés, pas seulement tigréens.

Selon le chercheur, le TPLF « parie sur un pourrissement interne de la coalition derrière Abiy », déjà affaibli, à mesure que le conflit deviendra « coûteux politiquement et militairement » et « sur des pressions internationales sur un régime éthiopien (…) en banqueroute ».

Au sein du TPLF, il y a « cette idée que l’on a été capables de se battre pendant 20 ans (contre le Derg, ndlr) et qu’on peut donc recommencer ».

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