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Comment surveille-t-on les microalgues toxiques ?

Le phytoplancton est un végétal composé d’algues microscopiques unicellulaires (microalgues), qui se développe dans l’eau de mer ou dans les eaux estuariennes.

Il produit notamment la moitié de l’oxygène que nous respirons et « consomme » le CO₂ via le processus de photosynthèse. C’est également le premier producteur primaire du milieu marin, ce qui le positionne à la base de la chaîne alimentaire des océans.

À ce jour, plus de 5000 espèces sont identifiées à l’échelle mondiale, dont certaines (environ 200 espèces) sont susceptibles d’être nuisibles ou toxiques lors de phénomènes appellés « efflorescences » (ou blooms).

Lorsque les conditions sont favorables, le plancton prolifère de manière très importante, provoquant ainsi des eaux colorées (rouges, vertes, marrons), des accumulations de mousse en mer et sur le littoral, ou encore la production de toxines qui s’accumulent dans la chaîne alimentaire et deviennent dangereuses pour l’humain.

Ces efflorescences provoquent ainsi des dysfonctionnements des écosystèmes marins, en altèrent la qualité et présentent un risque pour la santé humaine.

Autant de raisons qui nécessitent une surveillance attentive du phytoplancton.

Le phytoplancton et sa réponse aux changements environnementaux

Le phytoplancton réagit très vite aux changements de son environnement et a un rôle clé dans les écosystèmes côtiers. Ceci en fait un excellent témoin des modifications environnementales, et il est par conséquent très souvent utilisé comme un indicateur contribuant à l’évaluation de la qualité des écosystèmes marins.

Les efflorescences de algales peuvent indiquer un déséquilibre dans leur environnement. Ici, un bloom de Mesodinium rubrum colore les eaux de la Méditerranée.
Pierre Gernez/ISOMer/Nantes Université, Fourni par l’auteur

Plusieurs études ont ainsi porté sur l’analyse des principales caractéristiques du phytoplancton, que ce soit du point de vue de l’abondance globale, des proportions des principaux groupes taxonomiques (exemple du rapport dinoflagellés/diatomées, qui représente souvent la part de phytoplancton potentiellement toxique par rapport au phytoplancton total), de la structure des communautés phytoplanctoniques et de sa dynamique (début, fin et amplitude des efflorescences) dans le temps et dans l’espace.

Ces changements dans la biomasse, l’abondance et la dynamique du phytoplancton sont le plus souvent corrélés à des facteurs environnementaux : température, salinité, disponibilité de la lumière et des nutriments (azote, phosphore et silice).

Comprendre les réponses du phytoplancton aux modifications des conditions environnementales, qu’elles soient d’origine naturelles ou anthropiques, permet donc de mieux caractériser ces changements.

Par exemple, l’analyse du phytoplancton apporte des informations sur la vulnérabilité des zones côtières. Lorsque les apports de nutriments (azote, phosphore notamment) sont excessifs et que les conditions sont optimales (lumière, transparence de l’eau, courants), le développement du phytoplancton va être favorisé jusqu’à un point où son accumulation va provoquer des dysfonctionnements au sein de l’écosystème. Ceci correspond au processus d’eutrophisation.

La réduction des apports en nutriments depuis les bassins versants vers la mer va ainsi favoriser la diminution des efflorescences de certaines espèces, entraînant généralement une diminution de la biomasse totale du phytoplancton, comme cela a été montré récemment en Manche et mer du Nord.

Cependant, la réponse du phytoplancton à ces améliorations de la qualité de l’environnement peut ne pas être directe, et il peut se passer plusieurs années, voire plusieurs décennies, avant de voir un effet sur l’environnement. Par ailleurs, c’est l’équilibre entre les différents nutriments (exemple du rapport azote sur phosphore) qui peut être déterminant pour limiter la prolifération d’une microalgue donnée.

L’étude de la dynamique du phytoplancton porte, quant à elle, sur le suivi des dates auxquelles surviennent et se terminent les efflorescences algales, ainsi que leur amplitude et leur durée.

Ainsi, pour certains dinoflagellés, on a pu observer des efflorescences plus précoces en mer du Nord.

Une des conséquences potentiellement les plus importantes sur le fonctionnement des écosystèmes est le décalage dans le temps entre le développement du phytoplancton et celui de ses consommateurs, ce qui revient à limiter les échanges de nourritures entre les différents maillons de la chaîne alimentaire.

Ceci peut amener à des modifications majeures au niveau des espèces se nourrissant directement ou indirectement du phytoplancton (plancton animal, poissons, coquillages). Cela peut amener également à une limitation des ressources marines, sources essentielles de protéines pour l’alimentation humaine.

Mieux connaître les relations entre le phytoplancton et son environnement en se basant sur les données anciennes et nouvelles permet ainsi de mieux comprendre le fonctionnement de ce compartiment biologique complexe. Cela permettra ensuite d’expliquer et d’anticiper des phénomènes nouveaux, comme l’évolution de la biodiversité et de la répartition des espèces en réponse aux changements climatiques.

Le phytoplancton, danger sanitaire

Parmi le phytoplancton, certaines espèces sont productrices de toxines. C’est notamment le cas des genres Dinophysis (producteur de toxines diarrhéiques), Pseudo-nitzschia (producteur de toxines amnésiantes) et Alexandrium (producteur de toxines paralysantes).

Les mollusques bivalves filtrent plusieurs litres d’eau chaque heure et se nourrissent du phytoplancton. Lorsqu’il s’agit d’espèces productrices de toxines, ces dernières s’accumulent dans les coquillages qui, à leur tour, risquent de contaminer le consommateur humain.

D’autres espèces tropicales du genre Gambierdiscus (producteur de ciguatoxines), sont à l’origine de la ciguatera, une intoxication alimentaire très présente dans le Pacifique, l’océan indien et aux Antilles, entre autres…




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Au-delà des espèces productrices de toxines, d’autres espèces s’avèrent nuisibles pour les écosystèmes.

Ainsi, lors de fortes efflorescences, le phytoplancton finit par mourir. Sa dégradation est alors susceptible de consommer beaucoup d’oxygène, au détriment des autres organismes vivants à proximité, notamment parmi les espèces benthiques qui ne peuvent « fuir » la zone, et meurent par asphyxie. C’est par exemple le cas des coquillages élevés pour la consommation humaine.

Certaines espèces, lorsqu’elles blooment, produisent du mucus, susceptible de rendre l’eau de mer plus « épaisse » et visqueuse, de colmater les branchies des poissons (conduisant à leur mort), ou encore de générer des mousses susceptibles de s’accumuler sur les plages ou les ports, impactant les usages (exemple de Phaeocystis globosa en Manche et mer du Nord.

Surveiller le phytoplancton

Pour toutes ces raisons, il est nécessaire d’avoir une vision de l’évolution du phytoplancton dans l’espace et le temps. Pour cela, l’Ifremer s’appuie sur le REPHY, un réseau d’observation et de surveillance.

Dinophysis acuta au microscope à balayage électronique.
Véronique Séchet/Ifremer/Phytox/Physalg et Nicolas Chomérat/Ifremer/LERBO, Fourni par l’auteur

Il s’agit de prélever de l’eau de mer sur des lieux définis à une fréquence définie, généralement mensuelle à hebdomadaire. Selon les lieux, le prélèvement est fait à partir d’une embarcation ou depuis un ponton ou une digue.

Ces échantillons d’eau de mer sont ensuite analysés au microscope pour identifier et dénombrer (manuellement) le phytoplancton.

Dans le cas où des espèces productrices de toxines sont présentes au-dessus d’un seuil d’alerte, des prélèvements de coquillages sont déclenchés dans les zones exploitées à proximité. Si la concentration en toxine dans les coquillages et au-dessus du seuil réglementaire, les zones concernées peuvent être fermées par les services de l’état pour protéger les consommateurs de coquillages.

L’apport des nouvelles technologies

Les développements électroniques et informatiques récents permettent d’observer le phytoplancton avec des méthodes moins conventionnelles, qui permettent d’automatiser l’échantillonnage et d’augmenter le nombre d’analyses et/ou de mesures dans le temps et dans l’espace.

Ainsi, il est désormais possible d’étudier le phytoplancton via :

  • des systèmes d’analyses d’images : un algorithme permet la reconnaissance automatique des cellules phytoplanctoniques qui sont passées devant l’objectif d’une caméra

  • des études génétiques : on parle de techniques de métabarcoding, de métatranscriptomique et de métagénomique

  • des capteurs installés sur des bateaux ou des bouées : on peut directement mesurer la biomasse du phytoplancton dans le milieu, et il est même possible de diviser cette biomasse globale en différents groupes phytoplanctoniques en fonction de leur composition en pigments photosynthétiques

  • la modélisation : la création d’un écosystème marin numérique permet de tester des scénarios d’évolution en modifiant les paramètres du modèle selon les changements passés, présents ou à venir de l’environnement

  • les produits dérivés de l’observation de la couleur de l’eau : il s’agit ici de suivre le phytoplancton grâce à des images satellites.

Le projet S-3 EUROHAB

Ce dernier point peut être illustré par le projet S-3 EUROHAB, qui utilise les données du satellite européen Corpernicus Sentinel 3 pour traquer les efflorescences algales nuisibles et toxiques en Manche.

Image satellite centrée sur la marche, des efflorescences sont indiquées en bleu-vert
Image satellite du 24 avril 2020 montrant un risque plus élevé de bloom de Phaeocystis en Manche orientale.
S3-EUROHAB, Fourni par l’auteur

Les données satellitaires ont été utilisées pour créer un système d’alerte en ligne, le premier du genre en Europe, afin d’avertir les gestionnaires de la mer et les industries de la pêche de l’apparition d’efflorescences algales potentiellement nuisibles.

Les alertes sont accessibles gratuitement via le portail EUROHAB.

Enfin, au-delà des risques d’efflorescences algales, l’outil d’alerte en ligne met à disposition des indicateurs de qualité de l’eau ou de propriété physique ou météorologique (turbidité, température de surface…) qui peuvent aussi aider les professionnels et les usagers dans la gestion de leurs activités et l’amélioration de leurs pratiques.

Les enjeux pour les scientifiques sont donc désormais d’intégrer toutes ces connaissances afin de mieux observer, de mieux comprendre et par conséquent de mieux prédire l’évolution et donc mieux gérer ce compartiment phytoplanctonique, essentiel à la vie sur Terre.

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