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Comment la Révolution française a réinventé l’école

Évoquez autour de vous les débuts de l’école républicaine et aussitôt un nom surgira, celui de Jules Ferry évidemment. Pourtant, c’est près d’un siècle avant les fameuses lois scolaires de 1881-1882 que l’école républicaine fit ses premiers pas, en pleine Révolution française.

À quoi ressemblait-elle, alors, cette première école de la République ? En quoi les expériences scolaires révolutionnaires contribuèrent-elles à façonner la pédagogie moderne et les fonctions que nous prêtons encore aujourd’hui à l’école ? Tentons un retour en arrière, pour mieux saisir la Révolution depuis une salle de classe.

Former les citoyens de demain

9 heures approchent. Des enfants du village, filles et garçons, convergent vers l’école, située tout à côté de l’église et du presbytère, au centre du bourg. Le bâtiment est récent, comme c’est le cas dans un nombre croissant de communes rurales. Il a de larges fenêtres et une salle de classe chauffée par un poêle – la lumière qui circule, l’air qui chasse les miasmes sont d’ailleurs des préoccupations en cette moitié du XVIIIe siècle.

Sur son pourtour, de nombreux bancs ont été installés, certains dotés de tables (pour les élèves qui apprennent à écrire), d’autres sans rien (pour ceux qui apprennent à lire). On dissociait alors les deux apprentissages : la lecture d’abord, l’écriture plus tard. Sur les murs, l’enseignant a accroché des affiches. On peut y lire les lettres de l’alphabet ainsi que des textes – je vous dirai bientôt lesquels. Une pile de petits fascicules imprimés (des abécédaires) attend l’arrivée des enfants.

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La scène que nous imaginons se situe en 1793, peut-être au premier semestre 1794. Ce village, nous l’avons fabriqué de toutes pièces, en nous appuyant sur des éléments attestés en ces instants de paroxysmes révolutionnaires. Mais on peut l’incarner davantage, si vous le souhaitez, par un retour au réel. Disons donc que l’on est à Beaumont, en Auvergne, car sur cette école-là on sait beaucoup de choses. L’instituteur y a multiplié les écrits sur son activité. En l’an II, il s’était renommé Quintilien Vaureix – au lieu de Pierre Vaureix – et, à cet instant précis de sa vie, il avait 31 ou 32 ans. Les présentations étant faites, ouvrons la porte de sa classe. Les enfants entrent, ils prennent leurs abécédaires. La suite, laissons-là aux explications de l’instituteur.

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Jean-Jacques-François Le Barbier/Musée Carnavalet

Dans la classe de Quintilien régnait un système méritocratique : les places étaient hiérarchisées, et c’est par ses efforts, encouragés par des récompenses civiques, que l’on s’y hissait – point comme autrefois par la fortune des pères. Une fois assis, les élèves de Vaureix commençaient par lire et expliquer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le texte en était reproduit dans leurs fascicules.

La Révolution, à l’école de Quintilien, c’était aussi celle du langage : l’instituteur avait appris aux enfants à dire le « tu » de l’égalité, le « citoyen » qui remplaçait le « monsieur ». L’usage du français (la langue de la loi) était établi au détriment du patois. Même le temps, ici, avait été révolutionné : l’école était fermée les quintidis et les décadis, ces cinquième et dixième jours de la nouvelle découpe républicaine du temps. Elle était en revanche ouverte les anciens jours de dimanche (il est vrai que Dieu avait été exclu de sa classe par Quintilien).

Faire vivre les enfants en républicains

Les décadis, les enfants de Beaumont devaient assister aux lectures de la loi faites par l’instituteur aux villageois. Ce jour-là, ils devaient aussi – les garçons du moins – participer à de petits exercices militaires pour être prêts, lorsqu’ils seraient adultes, à défendre la République (l’époque était à la guerre et à l’invention du service militaire). Quintilien, enfin, emmenait ses écoliers au club jacobin du village. À vrai dire, il leur avait même organisé un petit club où ils pouvaient débattre entre eux des affaires du temps, voter, élire, pétitionner. Ce que voulait Vaureix, on l’aura compris, c’était que ses élèves agissent en citoyens. Ils étaient 102, filles et garçons, à fréquenter son école, au printemps 1794.

Bien sûr, on n’est pas obligé de croire Quintilien sur parole quand il écrit qu’il faisait ceci, et cela. Pourtant, je vous propose de lui accorder un peu de crédit, car des instituteurs comme Quintilien, il y en avait plus de cent autres. Il y en avait dans chaque ville, chez les institutrices comme chez les instituteurs. Il y en avait aussi dans les campagnes (des instituteurs surtout, car presque pas d’institutrices ici) – du moins y en avait-il dans les communes républicaines du monde rural. Là, l’instituteur s’était trouvé chargé d’accompagner le groupe des habitants dans son choix de la République par des pratiques scolaires nouvelles.

Dans leurs registres, les autorités ont gardé trace de ce républicanisme scolaire. On y lit des Marseillaises chantées à n’en plus finir par des enfants de l’an II, des participations aux fêtes républicaines, des dons pour la défense de la République, des bataillons aux armes de bois pour les garçons, de petits clubs politiques, des textes patriotiques, le refus des châtiments corporels (la sanction des esclaves, non des hommes libres). Et puis l’essentiel : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, celle qui figurait dans les abécédaires des enfants, celle qu’ils récitaient lors des fêtes, celle qui était affichée dans leur classe également.

Garçon en uniforme de garde national, jeune fille, chien, miniatures : maquette de la Bastille, canon. Jardin, paysage
Enfants jouant la prise de la Bastille.
Anonyme/Wikimedia

Bien sûr, des variantes propres à chaque instituteur ont pu exister. Celui-ci aura enlevé les images pieuses qui ornaient sa classe. Celui-là aura organisé de petits procès où les enfants arbitraient eux-mêmes leurs disputes (gare alors à ne pas être privé de récréation). Dans l’ancien prieuré Saint-Martin-des-Champs, à Paris, un internat accueillait près de 300 enfants vivant sous le régime d’une Constitution républicaine. Ils s’y réunissaient en assemblée pour faire les lois de leur petite Cité.

L’ambition était de faire de l’école une République en réduction. Il fallait, pensait-on (c’était un legs des Lumières), mobiliser les sens, donc faire vivre les enfants en républicains, pour leur apprendre les savoirs et les pratiques de la citoyenneté. Que de changements par rapport aux leçons d’avant 1789, largement fondées sur la religion !

L’école, une priorité pour les révolutionnaires

Ces modèles pédagogiques (choses politiques) circulèrent largement. On le comprend. Reprenant aux Lumières (encore) l’idée de la toute-puissance du pouvoir pédagogique, mais en la conjuguant à l’exigence d’une démocratisation de la scolarisation qui n’avait jamais vraiment été envisagée par les philosophes du XVIIIe siècle, les révolutionnaires ont fait de l’école une priorité, en même temps qu’un objet brûlant du débat politique. C’est à elle, l’école, qu’ils confièrent la tâche (immense et décisive) de former les citoyens de demain, ceux sans lesquels la République ne pourrait vivre longtemps.

Cela a ouvert la voie à d’innombrables écrits, à maints discours, à quantité d’expériences, dans un formidable élan pédagogique qui fit la marque de la période. Puis la loi s’y est mise. Un siècle avant Ferry, fin décembre 1793, l’école publique fut créée, gratuite et obligatoire. Cela ne dura qu’un an – la mesure figurant parmi les victimes collatérales de la chute de Robespierre. Mais cette année-là compta. Elle compta, parce que cette loi rencontra un authentique succès. Elle compta, car elle était un projet pour l’avenir.

Le maître d’école du village au temps des Lumières et de la Révolution (École nationale des chartes, mars 2023).

Insistons sur le fait que toutes les écoles du pays n’ont pas eu le visage de celle de Quintilien, même en 1793. Certaines étaient moins militantes dans leur républicanisme, d’autres étaient même franchement hostiles à la Révolution et continuaient d’enseigner les savoirs (pieux) de jadis.

En ville, face au grand nombre d’écoles, qui couvrait plus ou moins toutes les nuances politiques, les parents pouvaient choisir celle qui convenait le mieux à leurs opinions. Au village, où il n’y avait qu’un instituteur, les choses étaient différentes. Là, la commune maîtrisait le recrutement de l’enseignant et avait les moyens de lui imposer ses vues. Ni le pédagogue ni l’État n’y étaient véritablement maîtres du contenu politique des leçons.

Reste que l’école de la République a existé (pour la première fois). La Déclaration des droits fut le manuel de toute une génération de fils et de filles de républicains. Ils ne la comprenaient sans doute pas – ou pas complètement. Ils l’apprenaient néanmoins pour demain, un demain de XIXe siècle, un demain où ces gosses de 93, devenus adulte au temps de Hugo, de Michelet, purent donner des sens multiples et sans cesse renouvelés à ces quelques mots appris d’enfance, par cœur et par corps, ces mots qui donnaient pour but à la société le bonheur commun, le respect des droits fondamentaux, les secours publics, le droit à l’insurrection et à l’instruction, la démocratie. Pratiques et espoirs vains ? Plus d’un en garda en tout cas la mémoire vive.

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