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retour sur Amelios, un dispositif économique inspiré de la pollinisation des abeilles

Approche innovante, pluridisciplinaire et inspirée du vivant pour concevoir des produits, des services et des procédés, le biomimétisme consiste à s’appuyer sur les mécanismes existants dans la nature afin de développer des procédés respectueux de l’environnement.

Parmi les innovations technologiques les plus célèbres en matière de biomimétisme, on peut citer le Velcro (ou scratch), issu de la technique de dissémination de la bardane, dont les fruits s’accrochent au pelage des mammifères. Ou bien le Shinkasen, train japonais dont les nuisances sonores étaient devenues invivables lorsqu’il pénétrait dans un tunnel : les ingénieurs se sont appuyés sur la forme du bec des martins-pêcheurs, qui fendent en toute discrétion, sans aucune éclaboussure, la surface de l’eau pour plonger pêcher.

Mais le biomimétisme ne se réduit pas à des technologies en tant que telles : s’il ne s’accompagne pas d’une remise en question de nos modes de production, son impact sera limité. Si son utilisation en revanche s’inscrit dans des systèmes eux-mêmes bioinspirés, il peut se révéler plus pertinent. Dans ce contexte, l’Agence de la transition écologique (Ademe) expérimente dans le cadre du projet BLOOM, en Hauts-de-France, la notion de territoire bioinspiré.

C’est par exemple l’ambition d’Amelios, un dispositif fondé sur les quatre principes du biomimétisme – la parcimonie, la coopération, l’optimisation et la responsabilité. Il est notamment tiré d’un modèle imaginé par l’économiste Yann Moulier-Boutang dans son livre L’abeille et l’économiste, publié en 2010 après la crise des « subprimes », qui promeut les économies d’énergie en imitant la formidable capacité des abeilles mellifères à optimiser leur dépense.

Comprendre l’énergie des abeilles

L’abeille butineuse qui sort de sa ruche va collecter d’une part le nectar de la fleur pour fabriquer du miel, et d’autre part du pollen afin de nourrir les larves de la colonie.

Il lui est par conséquent indispensable d’optimiser sa dépense énergétique, en fonction non seulement de la distance qu’elle parcourt mais aussi de la quantité de pollen qu’elle transporte. Elle utilise pour voler le nectar stocké dans son jabot, qui joue le rôle d’apport énergétique en sucre – pour 3 à 5km, elle devra butiner entre 1 000 et 1 500 fleurs ! Afin de limiter au minimum ses dépenses, l’abeille sélectionne les espèces qu’elle butine, en se concentrant par exemple sur une certaine couleur, odeur et forme de fleurs, dont elle assurera la fécondation.

Par la pollinisation, elle travaille ainsi non seulement à l’avenir de sa colonie mais aussi au bon développement des organismes environnants, produisant des externalités positives pour la planète et pour l’humain « en diffusant gratuitement la vie ».

L’énergie des abeilles (Nature = Futur !, MNHN, 14 octobre 2019)).

Une théorie née après la crise des subprimes

C’est de ce modèle ingénieux de diffusion et de coopération chez les abeilles que s’est inspiré Yann Moulier-Boutang pour imaginer sa théorie. L’idée est de permettre à chaque individu de constituer un stock d’énergie à partir d’un bilan énergétique et de le faire fructifier comme le font les abeilles en pollinisant les arbres fruitiers. Avec l’objectif de concilier la baisse rapide des émissions et préservation de la biodiversité sur un territoire.

L’abeille et l’économiste, Yann Moulier-Boutang.
CC BY-NC-ND

À chaque changement d’usage ou de comportement, changement de fenêtre, isolation d’un toit, choix d’un autre mode de déplacement moins énergivore, l’individu épargne de l’énergie et constitue ainsi un capital qui est déposé dans une banque de l’énergie. Des actions fondées sur la bienveillance et la coopération peuvent également être prises en compte.

Ce capital peut grossir à mesure que les sociétaires – particuliers ou entreprises – multiplient leurs externalités positives en faveur de la société : faire du covoiturage ou être bénévole dans une association, par exemple.

Amelios, le dispositif testé à Senlis

C’est Philippe Botte, ancien de Veolia et désormais bénévole retraité, qui a souhaité mettre en pratique la théorie de Yann Moulier-Boutang pour en faire un vrai dispositif économique à l’échelle de Senlis, dans l’Oise – où est implanté le Ceebios, centre européen d’excellence sur le biomimétisme, avec lequel l’Agence de la transition écologique (Ademe) a signé une convention afin de mener des actions d’acculturation et d’accompagnement des acteurs économiques, de la recherche et des territoires sur le biomimétisme. L’idée étant de valoriser à l’échelle d’un territoire les économies d’énergie et la réduction des émissions de GES, en une monnaie permettant de financer des actions pour la biodiversité.

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Pour cela, Philippe Botte a d’abord créé un site de démonstration, un bâtiment en matériaux renouvelables construit à Senlis sur une parcelle pour laquelle il a contracté des obligations réelles environnementales, un dispositif juridique né en 2016 qui offre à un propriétaire immobilier de sanctuariser la biodiversité sur sa parcelle en s’engageant par un contrat signé à y préserver le vivant dans des conditions qu’il fixe lui-même. C’est ce qu’a fait Philippe Botte avec le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement de l’Oise.

Il a en parallèle créé une société civile de patrimoine, Pole-N, qui permet de gérer des actifs immatériels non codifiables comme la bienveillance, et dont les bénéfices – tirés des économies d’énergie – sont reversés à une association naturaliste.

Une monnaie indexée sur l’état de la nature

Les économies d’énergie sont converties en « CoO » (pour coopération), une monnaie fluctuant en fonction des impacts sur l’environnement et la biodiversité. Plus les impacts sur l’environnement sont mauvais plus la valeur du CoO sera élevée – mais cette valeur demeure toujours supérieure à celle de l’euro. Plus les dégâts sur l’environnement et la biodiversité sont faibles plus la valeur des CoO sera basse.

C’est donc une monnaie qui n’a de la valeur que si on coopère et que l’on enrichit le vivant. Contrairement à l’euro et au dollar, elle est « informationnelle », c’est-à-dire que son cours est directement dépendant de l’état de la nature et de la consommation d’énergie sur le territoire (évalués à partir des actions menées par les sociétaires). A l’image de l’abeille, qui en rentrant à la ruche, informe par une danse ses congénères de la présence proche d’un cerisier en fleurs.

De là, Philippe Botte a commencé à créer un réseau de sociétaires à l’échelle de la ville, encore embryonnaire à ce stade, qui peuvent transformer leurs certificats d’économie d’énergie et leurs actions en faveur de la société, en un capital stocké sur la banque de l’énergie, Amelios. Ce capital donne la possibilité à chaque sociétaire de frapper monnaie lui-même (en imprimant des billets de CoO).

Ses détenteurs obtiennent en la présentant des remises auprès des commerçants membres du réseau – par exemple le coiffeur ou le maraîcher, qui lui reçoit davantage, le CoO ayant une valeur supérieure à l’euro.

À terme, l’objectif est que le modèle se disperse horizontalement, à l’image de la pollinisation : que partout en France, des territoires le copient à leur échelle et en fonction de leurs problématiques environnementales.

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