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Assis dans le métro, les voyageurs d’un monde d’avant

Jamais ils n’ont voyagé dans un tel confort. Dans une ville assignée à domicile pour lutter contre le coronavirus, les passagers du métro parisien se distribuent sur les sièges libres en quinconce, comme sur un échiquier.

Dans les couloirs et sur les quais, les murs racontent un monde d’avant, quand les citadins allaient au théâtre et au cinéma, préparaient des vacances, achetaient des robes pour le printemps et visitaient des musées.

Des rames capables, selon le modèle, de transporter 600 à 700 passagers, dont un bon tiers assis, n’en comptent vendredi matin « à l’heure de pointe » qu’une vingtaine à peine sur toute leur longueur.

La RATP estime qu’elle en est, depuis le début de la semaine, à 4% de sa fréquentation habituelle.

Même la Ligne 13, la plus longue du réseau et la plus fréquentée, en permanente saturation avec un taux de remplissage de 110%, respire.

« Tu as toujours de la place, mais à l’heure de pointe, c’est difficile de s’asseoir en gardant un mètre de distance », nuance Aminata. Dans ces cas-là, cette habituée de la 13 qui l’emprunte chaque matin pour aller prendre sa caisse dans une supérette à la station Guy-Môquet, reste debout, le visage collé à la vitre, dos aux portes.

Même à la station Saint-Lazare, qui relie quatre lignes de métro et les trains de banlieue, les pas des voyageurs résonnent dans les couloirs déserts.

Sur la ligne 1, qu’empruntent d’ordinaire les cadres de la Défense – le grand quartier d’affaires – et les touristes qui naviguent du Louvre aux Champs-Elysées plan de Paris en mains, chaque station embarque moins de cinq passagers à l’heure théorique de l’ouverture des bureaux.

Aux stations, le métro s’arrête souvent pour rien. A Châtelet-Les Halles, la plus grande gare souterraine d’Europe (cinq lignes de métro et trois de RER, plus de 26 millions de passagers par an), un homme descend, deux montent. A Louvre, les statues brillent dans le noir pour elles seules. A Palais-Royal, deux voyageurs quittent la rame, un seul monte. Tuileries est fermée…

Sans gants ni masque, Diane, psychomotricienne de 28 ans montée à Nation, se rend en proche banlieue pour rejoindre la maison de retraite qui l’emploie. Le patron a distribué des équipements de protection pour les employés au travail, mais pas pour les transports.

« Ça ne me gêne pas, les gens font attention, sauf des jeunes parfois, un peu par provocation. Sinon, personne ne s’approche des autres », assure la jeune femme, les poings enfoncés dans son caban beige.

– Temps de transport rallongé –

Quand la rame arrive, moins d’une quinzaine de passagers sont assis sur toute la longueur. Seuls trois portent un masque. Un autre a noué son écharpe sur son nez et porte des gants.

La seule chose dont se plaignent les usagers, parce qu’elle rallonge leur temps de transport, c’est la raréfaction des rames: depuis le 26 mars, la RATP qui gère les transports parisiens a réduit son trafic d’environ 30%. Le métro ne fonctionne plus que de 06H00 à 22H00 et une cinquantaine de stations sont fermées.

Pour Diane, le trajet prend désormais 1h30 au moins, avec 7 à 12 minutes d’attente à chacun de ses deux changements.

Le temps d’attente et celui du trajet sont rythmée par les annonces au haut-parleur, dont l’écho accentue le caractère anxiogène, qui rappellent d’un ton grave de garder ses distances et de se laver les mains.

Un vrai problème pour Ibrahim. Ce Sénégalais de 31 ans, qui dort dehors depuis six mois, se rend une fois par jour Gare du Nord pour une douche. « Mais en ce moment la police ne vient pas dans le métro. Au moins j’y dors au chaud ». A part la souris qui passe en trottant dans la rigole derrière lui, nul ne dérange son campement à la station Grands Boulevards, aussi silencieuse que le Musée Grévin qu’elle dessert.

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