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Face à l'horizon bouché, les "harraga" du Maghreb galvanisés

"Ici, je n'existe pas, je meurs à petit feu. Mon seul espoir est de partir en Europe", lance Hamid, le regard tourné vers la mer. Pandémie ou pas.Comme des milliers de Maghrébins, ce jeune Algérien a opté, au péril de sa vie, pour la traversée de la Méditerranée sur une embarcation de fortune.Bloqués dans leur projet par la vague du nouveau coronavirus, les migrants clandestins algériens et tunisiens sont encore plus motivés pour partir, désormais.Et les drames en mer, à l'instar du naufrage début juin au large des côtes tunisiennes (60 morts, en majorité femmes et enfants), ne les dissuadent pas.Hamid, ingénieur de 28 ans, travaille mais il est contraint de vivre chez ses parents car son salaire ne lui permet pas de payer un loyer.Comme lui, ses amis Djamel et Mohamed, qui habitent un quartier du littoral algérois, ont décidé d'embarquer prochainement à Annaba.C'est de cette ville du nord-est de l'Algérie que partent de nombreux "harraga" –"ceux qui brûlent" en dialecte algérien. Parce que les jeunes brûlent souvent leurs papiers en arrivant à destination afin d'éviter d'être rapatriés.Le "Hirak", soulèvement populaire antirégime qui a surgi en février 2019, aujourd'hui durement réprimé, leur avait redonné espoir, freinant les départs clandestins.Mais, raconte Djamel, "quand on voit les arrestations de ceux qui postent sur Facebook", prendre le +boutti+ (embarcation de fortune) est devenu une question de survie". Quand bien même la déception est souvent au rendez-vous sur la rive Nord de la Méditerranée.- "Société qui régresse" -Selon le sociologue Mohamed Mohamedi, le "Hirak" algérien, inespéré, pacifique, a soulevé "l'espoir de pouvoir monter un projet de vie dans son pays". "Le retour des +harraga+ s'explique par le retour du désespoir".Pour Mahrez Bouich, professeur de philosophie politique à Bejaïa (nord-est), l'envie d'émigrer s'explique par "l'absence du changement escompté et une économie bloquée", avec une pandémie "qui a creusé les inégalités et les injustices sociales".Malgré la loi de 2009 qui punit de six mois d'emprisonnement les clandestins interceptés et de cinq ans les passeurs, le phénomène s’amplifie et les multirécidivistes ne sont pas rares.A bord du "boutti", médecins, infirmiers, policiers, chômeurs et familles entières se côtoient, relève Me Kouceila Zerguine, avocat à Annaba, qui souligne que l'émigration clandestine n’est pas réductible au chômage."Ils veulent vivre avec leur temps, ils veulent plus de liberté et de la dignité".Mohamed évoque une société conservatrice qui ignore les jeunes: "Mes grands-parents sont plus ouverts d'esprit que mes parents, c'est fou. La société régresse et je refuse de régresser avec elle".Me Zerguine est persuadé que les départs ont repris "de plus belle" et doute du chiffre officiel d'un millier d'Algériens interceptés durant les cinq premiers mois de 2020. "Il faut le multiplier par 20" car il convient d’ajouter ceux qui réussissent à passer, ceux qui sont arrêtés en arrivant à destination et les disparus, argue-t-il.Selon le dernier rapport de l'agence européenne de contrôle des frontières Frontex, le nombre de migrants en Méditerranée occidentale a dépassé 3.700 au cours des cinq premiers mois de 2020, dont la moitié d'Algériens. – Retenter sa chance -Contrairement aux migrants qui quittent l'Algérie, presque tous des Algériens, ceux qui partent de Tunisie viennent de plus en plus d'Afrique de l'Ouest.Ils sont désormais plus nombreux "que les Tunisiens" dans les embarcations clandestines, selon le Haut-commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) en Tunisie.Entre janvier et mai, les départs clandestins vers l'Europe ont été quatre fois plus importants que sur la même période de 2019, année marquée par une forte diminution, précise l'ONU. Mais parmi la jeunesse défavorisée de Tunisie, outre les tensions politiques qui ont fait perdre espoir dans les promesses de la révolution de 2011, la pandémie a aussi exacerbé le manque de perspectives économiques, observe Khaled Tababi, sociologue spécialiste des questions migratoires.De très nombreux emplois ont disparu, notamment dans le tourisme, rappelle-t-il.Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), plus de la moitié des migrants qu’elle aide en Tunisie y ont perdu leur emploi durant la crise sanitaire.Enfin, pendant que les services de sécurité sont occupés par la lutte contre la pandémie, les réseaux de passeurs en profitent pour acheter des petits bateaux de pêche, ce qui accroît l'offre en matière de départs.Originaire de Sfax (centre-est), Saïd El Ketari, chômeur de 28 ans, est resté clandestinement en Italie pendant sept ans avant d’être expulsé en 2019, et n’a de cesse depuis de retenter sa chance."Vivre dans un pays étranger même frappé par la pandémie est plus facile que de vivre ici. Sans argent, sans perspectives, avec le chômage qui nous étrangle", juge-t-il.

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