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vers l’invention d’une régulation locale de l’économie numérique ?

« Pour ou contre les trottinettes en libre-service à Paris ? » Telle est la question à laquelle les Parisiens sont invités à répondre ce dimanche 2 avril dans leur mairie d’arrondissement.

L’annonce de la consultation à la mi-janvier par l’exécutif parisien a rapidement ouvert le débat sur les avantages et inconvénients de ce nouveau moyen de déplacement urbain. Le camp de la maire socialiste Anne Hidalgo, tout en indiquant que le vote des citoyens « sera respecté », n’a pas caché sa préférence pour le « contre ».

« Que les Parisiens aient leur propre trottinette, pas de souci. Mais on a un vrai problème avec le free floating. Ce n’est pas écolo. Les salariés de ces sociétés ne sont pas correctement protégés. Mon idée, c’est qu’on arrête », a-t-elle répondu à des lecteurs du Parisien.

David Belliard, adjoint à la Transformation de l’espace public et aux Mobilités a, lui, défendu cette position au nom d’un « espace public apaisé ».

De nombreuses questions ont été portées au débat : l’accidentologie est-elle plus élevée que pour les vélos ? Ce nouveau moyen se substitue-t-il à l’usage de la voiture ou réduit-il seulement la part de la marche à pied ? Les trois opérateurs, auxquels le marché est réservé (Lime, Dott et Tier) et dont le contrat arrive à échéance fin mars, ont, eux, fustigé le mode d’organisation du scrutin dont ils doutent de la sincérité : sans consultation électronique, ni vote par correspondance, représentera-t-on bien l’avis des plus jeunes moins enclins à se déplacer dans les bureaux de vote que leurs aînés ? On retrouve pourtant parmi eux de nombreux utilisateurs du service, leur moyenne d’âge étant de 33 ans.

Il importe aussi, et cela a été l’objet de recherches menées avec Simon Cottin-Marx au Laboratoire techniques territoires et sociétés, de s’interroger en amont sur ce qui fonde l’intervention de la ville de Paris sur ce sujet. À nos yeux, il y a là quelque chose qui s’invente, à contre-pied d’un mouvement global qui fait remonter toujours plus haut la régulation de l’économie numérique, vers l’État, l’Union européenne et des accords internationaux.

Des raisons pour se saisir du dossier

Les premières trottinettes en libre-service sont arrivées dans les rues de Paris au début 2019. Le service est dit en free floating, pour signaler le fait que ces engins ne sont pas attachés à des stations fixes, comme le sont par exemple les Vélib’, et qu’ils peuvent être déverrouillés par un Smartphone dans tout l’espace public.

Certes, les trottinettes sont un bien matériel, mais l’infrastructure en arrière-plan est toute numérique, du système de location et tarification au repérage GPS dans l’espace. La recharge des batteries à l’origine reposait sur des auto-entrepreneurs payés à la tâche sur le mode des chauffeurs de VTC Uber.

Le déploiement a été très rapide. À l’été 2019, 12 sociétés mettaient à disposition 20 000 trottinettes dans la capitale. C’est alors que les critiques ont commencé à monter. Les réactions des pouvoirs publics se faisaient elles aussi entendre et les rapports étaient plutôt tendus avec les opérateurs comme le montrent ces tweets d’Emmanuel Grégoire, Premier adjoint d’Anne Hidalgo. Nous les avons suivies et mises en perspective dans notre enquête.

Du point de vue de l’État et de ses compétences, le seul enjeu était celui de la sécurité. La trottinette a ainsi fait l’objet d’un chapitre supplémentaire du Code de la route. La discussion de la Loi d’orientation sur les mobilités, publiée au Journal officiel en décembre 2019, tombait à point nommé pour régler cette question. Ce qui est alors dénommé « engin de déplacement personnel motorisé », pour recouvrir d’autres offres technologiques comparables, est interdit de circulation sur les trottoirs, limité à 25km/h et l’usage est restreint aux zones limitées à 50 km/h. Il est également interdit de circuler à deux et tout cela vaut pour les trottinettes en libre-service comme pour celles possédées à titre individuel. La loi ne distingue pas le free floating du reste.

Pour la Mairie de Paris, néanmoins, les trottinettes constituent un problème beaucoup plus large que la sécurité. C’est d’abord une appropriation non autorisée de l’espace partagé des trottoirs, utilisés dans les premiers temps tant pour rouler que pour stationner. C’est aussi un choix de politique de transport, l’offre de transport en libre-service à courte distance étant déjà couverte par des vélos en libre-service, les Vélib’, gérés par une entreprise délégataire, Smovengo. La municipalité s’était d’ailleurs montrée beaucoup plus conciliante avec l’offre de scooters électriques, sans doute plus complémentaire de cette offre contrôlée par le public.

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C’est ensuite un enjeu d’environnement, la façade verte des trottinettes électriques tombant lorsqu’une étude menée dans le Kentucky conclut en 2019 que leur durée de vie n’est que de 28 jours. Sans doute l’étude était-elle limitée et le matériel est-il plus robuste aujourd’hui, mais les opposants arguent que la flotte se retrouve souvent dans la Seine et les canaux, avec de possibles fuites des batteries, et que ce sont des camionnettes thermiques qui les récupèrent pour la recharge.

C’est enfin un volet supplémentaire de l’ubérisation, alimentant des critiques sociales. La collecte des trottinettes, les batteries n’étaient pas amovibles, était effectuée, là encore aux premiers temps, par des autoentrepreneurs payés à la tâche. On pouvait les voir dans les rues se déplaçant avec plusieurs trottinettes superposées.

Tentatives passées

Une première tentative d’encadrement des véhicules en free floating avait été engagée en juin 2018 par la mairie de Paris. Elle portait alors sur l’offre de vélos et de scooters en libre-service. La ville a proposé alors aux opérateurs de signer une charte puis a tenté de réguler le nombre de véhicules déposés. Tirant un constat d’échec, un encadrement du marché avec une limitation du nombre d’entreprises autorisées et la précision d’un cahier des charges sur les aspects sécurité environnement et maintenance ont été privilégiés. La ville avait souhaité ajouter également des conditions concernant le statut d’emploi des agents en charge de la recharge des batteries mais cela contrevenait aux principes d’ouverture de la concurrence.

Des emplacements de stationnement dédiés aux trottinettes ont progressivement fait leur apparition dans la capitale.
Gilles Jeannot, Fourni par l’auteur

Pour les trottinettes qui se sont développées par la suite, un appel d’offre en mars 2020 a permis de retenir trois opérateurs, Dott, Lime et Tier. Les conditions plus serrées de la relation et la fin de la concurrence sauvage ont permis d’imposer des règles strictes comme la limitation ciblée de vitesse dans certaines zones ou la contrainte à déposer les trottinettes dans les petits parkings dédiés.

La discussion avec les opérateurs a également conduit à développer des solutions numériques originales pour que les usagers ne puissent valider la fin de la location sans être à proximité immédiate d’un parking dédié ou ne puissent outrepasser les vitesses plus réduites dans les zones précisées. Tous les Parisiens ont pu constater l’impact de cette nouvelle méthode sur le respect des espaces de stationnements mais aussi la persistance de pratiques dangereuses comme la circulation à deux passagers.

Une nouvelle étape est donc franchie avec l’organisation ce dimanche d’une consultation citoyenne. En abordant les désagréments des trottinettes de manière globale et à travers un contrôle de l’accès au marché et non par de simples règles de police de voirie, il faut bien comprendre que la ville prend au sérieux la spécificité de l’économie numérique.

Plates-formes globales, mais politiques locales

Cette action doit en effet être saisie dans un mouvement d’affirmation de l’autorité locale face à des défis associés aux possibilités de l’économie numérique. Il y a là en effet des interactions inédites entre les nouvelles offres économiques permises par les intermédiations numériques et certains domaines d’interventions des collectivités locales, en l’occurrence la responsabilité des espaces publics des villes.

La plus visible, peut-être, concerne Airbn’b et ses répercussions sur la politique du logement. Le vote de ce dimanche peut aussi être rapproché d’autres actions visant à préserver le bien commun de l’espace public. La plus récente est l’action visant à limiter le développement des entrepôts relais pour les livraisons à domicile, « dark stores » et autres « dark kitchen ». Ici aussi, l’usage des espaces publics est questionné avec les nuisances liées à la concentration de scooters autour de ces dépôts et la fermeture de devantures commerciales. La municipalité a tenté de mobiliser le droit pour interdire ces entrepôts non prévus dans le plan d’urbanisme. La démarche est aujourd’hui suspendue suite à une mise en cause par le tribunal administratif de Paris du moyen juridique utilisé.

C’est une régulation par l’aval des effets de cette économie numérique qui s’invente sur ces sujets. Le fait mérite d’être souligné. Pour de nombreux domaines associés à ce secteur, la taxation des GAFAM, la possibilité d’un cloud souverain, les câbles sous-marins, la modération des contenus de l’Internet, la régulation semble devoir remonter à un niveau toujours plus haut, national européen et même mondial. Ici c’est une mairie qui intervient.

La votation d’avril 2023 se distingue, dans l’ensemble des interventions publiques locales, par sa dimension symbolique. Si la ville de Paris a développé depuis 2014 une pratique de participation des citoyens autour du budget participatif, celle-ci s’est construite autour du vote électronique et non par une procédure proche de celle des élections municipales. Quel que soit le résultat de la votation, il y a déjà là un geste fort, une affirmation de la volonté d’une régulation locale de cette nouvelle économie numérique.

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